Accueil Médias La calomnie à l’âge numérique

La calomnie à l’âge numérique


La calomnie à l’âge numérique

frigide barjot basile koch

Prenez n’importe qui, dans la rue, au hasard, et demandez-lui ce qu’il pense de la dénonciation anonyme. Je vous parie ma dernière – et d’ailleurs mon unique – paire de Louboutin qu’il poussera de hauts cris et prendra une mine dégoûtée. S’il s’agit d’un journaliste à haute teneur en moralité menant une courageuse croisade pour la vertu publique – vous trouverez sans peine, la profession en regorge –, il évoquera, la voix grave et la mine blanche – ou l’inverse –, les « heures les plus sombres de notre histoire », quand la vieille idéologie française faisait de nous une nation de corbeaux. Si c’est Edwy Plenel, il vous expliquera que le pétainisme n’est pas mort, en tout cas qu’il était bien vivant sous Sarkozy (et la méchante droite, on le sait, n’a pas disparu avec Sarkozy).

Posez ensuite une question subsidiaire sur les bienfaits d’Internet. En supposant que vous n’ayez pas questionné Alain Finkielkraut (ce serait ballot), il y a de grandes chances pour que votre unique et néanmoins représentatif sondé vous explique avec enthousiasme que, grâce au réseau géant, le contrôle des gouvernants par les gouvernés s’améliore, la transparence progresse, un nouveau journalisme participatif-et-citoyen se déploie et le débat public se démocratise. Bref, l’héroïsme de quelques-uns, fiers chevaliers de l’information, et l’amour de la vérité du bon citoyen se conjuguent pour faire triompher la vérité et la morale. Oyez la bonne nouvelle : on nous cache rien, on nous dit tout !

L’ennui, c’est qu’il y a comme une contradiction. Certains, considérant que de si nobles fins – informer le citoyen – ne sauraient s’embarrasser de chichis sur les moyens, recourent volontiers à la dénonciation anonyme (laquelle n’exige plus de se livrer à de fastidieux découpages de caractères imprimés dans les journaux). On a déjà évoqué, dans ces colonnes, la pièce à conviction brandie par Mediapart pour confondre Jérôme Cahuzac dans l’affaire du compte en Suisse : l’enregistrement par un courageux anonyme d’une conversation qui ne lui était pas destinée, suite à une erreur de manipulation téléphonique. Depuis, on a appris le nom de cet honorable corbeau, qui s’est avéré être un ancien rival de Cahuzac – et si c’est Mediapart qui a balancé sa balance, bien fait ! On rappellera en passant qu’Edwy Plenel, furax du peu d’effet de ses passionnantes « révélations », s’est fendu, fin décembre, d’une lettre au Procureur de la République pour lui faire part de son étonnement. « Eh, M’sieur, j’ai cafté et vous ne faites rien ? » Heureuse coïncidence, le Parquet a finalement ouvert une enquête préliminaire. Si j’avais mauvais esprit, j’y verrais la preuve que nous avons une Justice aux ordres : pas du pouvoir, des médias (ce qui est bien plus effrayant).

Qu’on me pardonne ces digressions, car c’est un autre épisode que je voulais narrer ici. Un jeune camarade qui passe sa vie à fouiner sur Internet (c’est un peu son métier) m’a signalé, il y a quelques semaines, un blog intitulé « Adieu Frigide Barjot » – pour ceux qui l’ignorent, notre amie Frigide – Virginie Tellenne, c’est-à-dire Madame Basile de Koch à la ville –, est à la pointe de la mobilisation contre le « mariage pour tous ». On peut y lire un seul article, interminable il est vrai, signé par… ah non, il n’est pas signé. L’auteur se prétend catholique et homosexuel, et il affirme avoir été un ami du couple Barjot/de Koch, avec lequel, précise-t-il, il a même d’excellents souvenirs de vacances. « Certains, écrit-il, s’indigneront que je souhaite conserver l’anonymat. C’est juste que je ne veux pas être encore victimisé une fois de plus par la Barjot. » Lâche, et fier de l’être ! S’ensuit un tissu de mensonges, âneries et autres contre-vérités, évidemment lardé de quelques éléments factuellement exacts. Ainsi, pour montrer que Frigide Barjot est un sous-marin des cathos intégristes, qu’il appelle « shismatiques » (sic), l’auteur invoque sa défense inconditionnelle des deux derniers papes. Il faut croire que la méchanceté ne rend pas toujours intelligent. La preuve, selon lui, c’est que Monsieur et Madame Tellenne « ont été mariés par l’abbé de Nantes, gourou de la secte « catholique » intégriste CRC». Réfléchis un peu, imbécile ! Un prêtre en rupture avec l’Église apostolique, romaine, et même catholique serait-il autorisé à célébrer un mariage ? Réponse de l’ex-jeune marié : « C’est un modeste curé à la retraite qui a célébré notre mariage, non pas à l’ombre d’une chapelle sectaire mais en l’église de Rillieux-la-Pape. » Encore une, pour rire : Barjot, assure le plaisantin, est « l’égérie des homophobes de tous bords ». Ce que prouvent les photos d’elle en train de danser sur les tables avec des go-go’s dancers au Banana Café qui accompagnent l’article. « Si, avec ça, elle est « homophobe », c’est Mata-Hari ! », conclut Monsieur Barjot.

En réalité, la cible de ce torrent de boue est autant Basile de Koch et, par extension, son frère, Karl Zéro, que Frigide elle-même. Notre justicier masqué entend prouver que tous ces gens (avec qui il aimait passer des vacances, allez comprendre) sont depuis toujours d’authentiques fachos. C’est vrai, vous feriez confiance à un type qui a fondé le groupe « Nazisme et Dialogue » ou l’ « Union des moutons de Panurge » ? D’ailleurs, il y a quinze ans, poursuit la commère, ils étaient au GUD. On pourrait rétorquer à l’anonyme associé à lui-même que des gens qui étaient fachos ou maos il y a vingt ans sont aujourd’hui honorablement connus de lui. Sauf qu’en l’occurrence, la Justice a tranché en 1997, condamnant L’Événement du jeudi à réparer le préjudice causé aux Tellenne’s Brothers par la publication de la même information – déjà fausse à l’époque.

Alors, bien sûr, on peut rire de tout. On doit, même. N’empêche, que n’importe quel plumitif ravagé par la haine puisse proférer n’importe quoi sur n’importe qui, ça fiche la trouille. Sans doute un juge peut-il obliger l’hébergeur du blog à révéler le nom du calomniateur – enfin je l’espère. En attendant, à l’heure où j’écris ces lignes, l’article est toujours disponible. Et pas seulement à cette adresse. En effet, quelques jours plus tard, une version très légèrement différente du même texte paraissait sur un blog, cette fois sous la signature d’un certain Jean-Christophe Petit. Et devinez par quel site est hébergé ce blog ? Par Mediapart, pardi ! – vous savez, ces grands « journalistes d’investigation » qui vérifient scrupuleusement leurs informations. Comme on se retrouve…

Bizarrement, cette version plagiaire comporte une sottise originale, inédite dans la première : selon le minusculissime Petit, Basile de Koch aurait suivi Bruno Mégret « dans la scission du FN pour devenir un des fondateurs du MNR ». Or, Basile de Koch n’ayant jamais fait partie du FN (point sur lequel la Justice a également statué), il n’a pas pu en faire scission. Par ailleurs, il faut vraiment ne rien comprendre à rien pour imaginer Basile fricotant avec Mégret. Le plus amusant, c’est l’origine de cette affabulation : une erreur de recopiage, débusquée par l’agent de Koch : « Dans sa précipitation, l’ « auteur » a sauté deux lignes et me voilà doté du cursus de l’ancien secrétaire général du Club de l’Horloge ! »

C’est aussi cela la magie du monde en ligne: des délateurs tapis derrière leurs écrans qui peuvent offrir un écho sans cesse plus grand à la calomnie la plus basse. Internet, c’est (aussi) le plus bel instrument jamais inventé pour transformer un mensonge en vérité. Ainsi, suite à la publication du texte de Petit, un autre anonyme a voulu compléter la fiche Wikipedia de Basile – et le pire, c’est qu’il croyait peut-être en toute bonne foi, œuvrer au progrès de la vérité !

D’accord, il y a des lois contre la calomnie (qu’on appelle alors diffamation). De fait, les intéressés ayant déposé deux plaintes, on voit mal comment le scribouillard anonyme et le petit copieur échapperaient à une condamnation. Sauf que, dans le meilleur des cas, ils devront publier un démenti et verser quelques euros aux offensés, alors que des milliers d’internautes auront pu lire et gober leur dégoûtante prose. Alors je me demande si ce monde peuplé de donneuses est vraiment respirable. Et si je ne détestais pas les comparaisons historiques stupides, j’ajouterais qu’en d’autres temps, je n’aurais pas aimé croiser tous ces cafteurs au grand cœur.

Cet article en accès libre est issu de Causeur magazine n°54 de décembre 2012. Pour lire tous les articles de ce numéro, rendez-vous sur notre boutique en ligne : 6,50 € le numéro / 12,90 €  pour ce numéro + les 2 suivants.

*Photo : La Manif pour tous.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Caraco et la mort de Madame Mère
Article suivant Manif pour tous : des chiffres et des hommes
Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération