Les larmes de Marie-Noëlle


Les larmes de Marie-Noëlle

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Il y aurait des traces de gauche au PS. Oui, je sais, c’est incroyable. Un peu comme si on avait trouvé enfin des traces de vie sur Mars. Bien sûr, ces traces sont résiduelles, mais incontestables. Elles apparaissent de loin en loin, de plus en plus évanescentes, et c’est pour cela qu’elles sont émouvantes. L’abstention de 41 députés socialistes en fait partie et les larmes de Marie-Noëlle Lienemann aussi.

Pourquoi Marie-Noëlle Lienemann a-t-elle pleuré ? Tout simplement parce que c’est une femme de gauche qui est au Parti Socialiste. Et aujourd’hui, gauche et PS, c’est devenu contradictoire puisque le PS s’est livré à un Bad Godesberg rampant depuis 1983 avec des aveux plus ou moins explicites, notamment chez Jospin et son inoubliable « Mon programme n’est pas socialiste » en 2002 ou encore plus récemment, avec Hollande, qui par un abus de langage a confié en janvier être « social-démocrate » alors qu’il est déjà « social-libéral », voire « libéral » tout court. Mais bon, cela a suffi à réjouir les chiens de garde présents à la conférence de presse qui ont triomphé comme s’ils avaient obtenu une confession de première importance avec cet aveu présidentiel de « social-démocratie ». Sauf que. Si le président avait été social-démocrate, vraiment social-démocrate, c’est-à-dire comme un Olof Palme des années 70, voire un Willy Brandt, je suis sûr que Marie Noëlle Lienemann n’aurait pas pleuré il y a quelques jours et que le groupe Front de Gauche aurait voté la confiance à Valls ou au moins se serait abstenu.

Car si la social-démocratie n’est pas le socialisme, elle est quand même une méthode pour arriver au socialisme. Bref, c’est de la gauche très pâle, très lente mais c’est encore de la gauche, c’est-à-dire un désir de transformation, et non, comme le social-libéralisme, un moyen plus ou moins aimable de vaseliner le système pour permettre au capitalisme financiarisé de fonctionner sans avoir systématiquement recours à la stratégie du choc[1. Naomi Klein, La stratégie du choc (Actes Sud)], façon Pinochet, Reagan, Thatcher ou comme ces temps-ci les gouvernements grecs et espagnols.

Mais comme Manuel Valls est un homme pressé, lui, il n’a plus ces pudeurs langagières de jeune fille. Lui, il a l’anaphore assumeuse. Il n’est plus socialiste, il n’est plus de gauche, il n’est même plus « social-démocrate ». Vous pouvez chercher en vain dans ses interventions de ses dernières années ces deux mots, « gauche » et « socialisme ». Sauf, peut-être, la fois où il a demandé à ce que le PS ne s’appelle plus PS justement.  Dans la bouche de Valls, « socialisme », c’est devenu aussi rare que « gaullisme » chez un responsable de l’UMP, c’est dire.  C’est même comme ça que Valls s’est fait cette réputation de moderne car il est bon de savoir en France que le moderne est celui qui voit la société comme un poulailler où les privilèges sont du côté de la poule tandis que le renard, lui, est un éternel opprimé qu’on empêche de produire des richesses.

Valls, lui, a dissipé explicitement les dernières illusions d’un PS qui se serait souvenu qu’il était de gauche, même dans la rigueur. Et c’est pour ça que Marie-Noëlle Lienemann a laissé percé son émotion après la rencontre des sénateurs socialistes avec le Premier ministre qui venait s’assurer que les élus de la Haute Assemblée n’allaient pas lui manquer pour voter le pacte de compétitivité et le plan de 50 milliards. Pacte qui n’en est pas un puisque pour signer un pacte, il faut être au moins deux et que là, c’est surtout le patronat qui a signé avec lui-même. Il l’a fait dans un autisme enchanté qui panique même Laurence Parisot qui trouve que Gattaz entre « dans une logique esclavagiste ». Oui, je sais, on en est là, aujourd’hui. C’est Laurence Parisot qui s’alarme des reculs sociaux et Christine Lagarde qui se demande si par hasard l’Europe austéritaire ne va pas mourir en bonne santé en dansant, agonisante, autour du totem des 3% dont on sait qu’il ressort davantage à la pensée magique qu’à la rationalité économique.

Alors, les larmes de Marie-Noëlle Lienemann, plus encore que le vote des 41 députés, sont un signe qui ne trompe pas.  Elles rappellent celles de Filoche après l’affaire Cahuzac ou encore celles de la ministre du travail italienne alors que Mario Monti annonçait un plan drastique sans précédent en 2011. On pourrait se dire que c’est un simple moment d’émotion mais c’est un peu plus que ça. Les idées, en politique, sont incarnées, vécues. Pas par tous les hommes politiques, loin s’en faut, mais tout de même par une bonne part d’entre eux, quoi qu’en dise le poujadisme ambiant.

Et pour ceux qui sont socialistes aujourd’hui, vraiment socialistes, pour qui la sincérité de  cet engagement a donné un certain sens à leur vie, ils peuvent désormais dire, comme Verlaine :

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure



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