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Mystérieux Malraux

« Dieu a été détruit. L'homme ne trouve que la mort »...


Mystérieux Malraux
© Desclée de Brouwer

François de Saint-Cheron publie Malraux devant le Christ, et démontre que, si André Malraux était un agnostique revendiqué, sa vie fut aussi marquée par une quête ardente de transcendance. De là à le christianiser de force, non…


André Malraux n’est pas tendance. C’est que notre basse époque mercantile et inculte ne comprend plus rien à ses engagements, non pas politiques, mais esthétiques. Son lyrisme porté par une voix tremblante, parfois à la limite de la rupture, où sont évoqués Jeanne d’Arc, le Général de Gaulle et la France de la résistance, fait grimacer de dégoût les petits fonctionnaires du nihilisme. Quelques écrivains pâles comme l’aube sale haussent les épaules, qu’ils ont étroites, quand ils évoquent le style de l’auteur de La Condition humaine, prix Goncourt 1933. J’ose affirmer que cet homme, qui est d’abord l’homme du « non », nous manque terriblement. L’ouvrage de François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, est donc une bonne nouvelle. Il tombe même à pic, puisque j’écris ces lignes le vendredi Saint. L’auteur, dans sa jeunesse, a eu le privilège de rencontrer Malraux. Il est aujourd’hui maître de conférences à la Faculté des lettres de la Sorbonne. Il a collaboré à l’édition des Œuvres complètes d’André Malraux. L’enjeu de l’ouvrage, qui se lit comme une enquête minutieuse et référencée, est de montrer que l’itinéraire de celui qui s’autoproclama colonel Berger fut marqué par une quête sinon de Dieu, d’un moins d’une forme de transcendance. Or, d’emblée, François de Saint-Cheron nous rappelle la phrase extraite D’une jeunesse européenne (1927) : « Nous qui ne sommes plus chrétiens ». Affirmation péremptoire confirmée un demi-siècle plus tard dans Lazare (1974) : « J’ai perdu la foi après ma confirmation. » Malraux confirme, à plusieurs reprises, qu’il n’a pas la foi. Le général de Gaulle lui en fait du reste le reproche amical : « Pourquoi parlez-vous comme si vous aviez la foi, puisque vous ne l’avez pas ? » Malraux déclare au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », deux ans avant sa mort, qu’il est agnostique. Ce qui n’est pas nouveau puisque François de Saint-Cheron rappelle les propos de l’ancien ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle tenus en 1971 : « Être agnostique, ça veut dire : penser qu’il n’y a pas de lien possible entre la pensée humaine et la conception d’une transcendance absolue. Ça ne veut pas dire du tout qu’on est athée, parce qu’être athée, ça veut dire : ‘’ c’est faux, la transcendance n’existe pas.’’ » Dans la plupart de ses romans, ou face aux œuvres d’art, ou encore en côtoyant les grandes figures catholiques, Malraux ne cesse de questionner le « mystère chrétien », comme le prouve l’étude de François de Saint-Cheron. Même la mort accidentelle de ses deux fils, le 23 mai 1961, ne parvient pas à éteindre « sa sensibilité » d’homme tourmenté par ce mystère-là. Et lorsqu’il est hospitalisé à la Salpêtrière, du 19 octobre au 16 novembre 1972, dans un état préoccupant, il relate son séjour et l’intitule Lazare, personnage ressuscité par Jésus. En vérité, Malraux ne cesse de tourner, le visage fiévreux, les mains agitées, autour du trou noir. C’est un Pascal sans Dieu que ni l’écriture, ni l’action, ne parviennent à calmer véritablement. L’absurde, la mort, le néant ne cessent de le hanter. Tout ce que notre société, dominée par la Technique, est incapable de penser, étant noyée sous les flots des discours publicitaires.

Pourquoi l’auteur des Antimémoires tient-il absolument à regarder en face le soleil noir ? À Élisabeth de Miribel, qui dactylographia l’Appel du 18 juin 1940, à Londres, Malraux avoue : « J’admire les chrétiens, je respecte leur foi mais je ne veux pas renoncer à l’inquiétude. C’est ce qu’il y a de plus grand chez l’homme ! »

C’est peu dire qu’il nous manque à l’heure où les chênes nains du Quercy ne cachent plus aucun maquis.


François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, Éditions Desclée de Brouwer.

Malraux devant le Christ

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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