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Macron, l’illusion du progressisme


Macron, l’illusion du progressisme
Emmanuel Macron en meeting à Dijon, mars 2017. SIPA. 00799424_000003
Emmanuel Macron en meeting à Dijon, mars 2017. SIPA. 00799424_000003

Emmanuel Macron est entré en politique baigné d’une révélation lactée, les traits noyés d’une transparence nouvelle, dans une flottaison d’absolu. Alerte, captivé par l’appel soudain de sa vocation, aimant ses amis progressistes aussi « farouchement » que les missionnaires du XIX° siècle allaient convertir le feu des forêts primitives, il avance avec une prestesse d’archer chassant les papillons dans une prairie de coquelicots. Il marche dans la fraternité des demi-dieux, mousquetaire de l’Olympe contre les « centaures des montagnes », les Conservateurs. Théosophe du progrès, il transcende les chapelles, unit les passions déchirées, purifie la culture de ses « rabougris ». Progresseur charmeur, il escalade la nouvelle aube avec le sourire raphaélique des pèlerins reconstruisant en chœur les ruines du mont Cassin.

Qui n’aime le progrès (progressus en latin signifie « marche en avant »)? Bien-être, bonheur, confort, nouveauté, réussite, abondance ? Mais les partitions de la « lutte contre le sous-développement » après l’Indépendance, les vivats du sacre progressiste soulevant les tribunes, les guides marchant dans « le sens de l’histoire », effleurant les doigts tendus par milliers, on les connaît par cœur. Nos progressistes ont joué toutes les gammes du progrès. Les cymbales de l’avenir radieux ont vibré contre la nuit coloniale, à frapper nos tympans de surdité.

Les tragédies du progrès total

Mais quelques décennies plus tard, c’est le désastre. Les marcheurs du progrès foulent un sentier de tourbières, de fosses et de tombes. Le progrès n’est plus la clarté d’un matin de lumière, mais le crépuscule d’un horizon aveugle. Quoi ? Le progrès n’est plus à sens unique ? Non, ses flèches pivotent, se heurtent, sa boussole part en vrille, son axe se renverse. Nos yeux fixaient la montée, ils se braquent sur la descente, la tête nous tourne, c’est la chute.

Au nom du progrès, les crimes des décolonisés ont fini par dépasser tout ce que les colons leur ont fait subir. Les progressistes ont commis autant d’injustices qu’ils ont engagé de promesses. Les dégâts du progrès ont ruiné la somme de ses bienfaits. Ils ont enfanté des maux dont l’inhumain est encore à venir. Qui est en mesure de les guérir ?

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C’est pourquoi les démarcheurs de progrès me laissent un peu rêveuse, au regard des tragédies que le mythe du progrès total a générées. La foule des réprouvés, des incrédules du progrès fera tonner contre l’impénétrable vitrine de son paradis, l’orage de leurs souffrances. Quand le progrès devient un bonheur aussi inaccessible que l’au-delà, un faux paradis, est-il meilleur que l’utopie religieuse ?

Emmanuel Macron est un jeune seigneur progressiste qui veut dépasser les clivages gauche-droite. Il les trouve démodés. Soit. Mais que signifie alors son opposition entre « progressistes » et « conservateurs », sinon répéter le schéma de la gauche « moderne », contre la droite « réac » ? Sinon refuser toute intelligence aux conservateurs, toute reconnaissance morale à ces racornis de l’histoire ? La division est encore plus violente. L’église progressiste doit écraser la conscience impie des conservateurs, ôter toute respiration à la tradition. Résultat : la résistance du passé,  cette raison fossile, se rebelle. La dignité humaine est en mal de restauration, pas de révolution. Est-ce si honteux ? Est-ce un crime ? L’empire du progressisme s’est ramassé au sommet d’une pyramide dont les fondements s’enfoncent dans le mépris moral.

Les premiers bénéficiaires de l’hégémonie du progrès sont… les progressistes

Tant qu’ils n’étaient pas gens de pouvoir, les progressistes étaient fréquentables. Humbles, soucieux de vérité, démunis, sans pouvoir, en minorité, épris de savoir, humanistes, habités de questions exprimant par leurs œuvres la noblesse imparfaite, mais perfectible et modeste, de la condition humaine.

Mais quand ils se mettent à empoigner le sceptre de l’histoire pour la téléguider, coulés d’absolu, fondus dans la puissance de l’Etat, qu’ils se transforment en ligues de vertu, en observatoires du vice, en directeurs de conscience, en petits-saints des droits de l’homme, en inspecteurs des mœurs, en marquis dictant au peuple un plan pour son Bien qu’il attend toujours, alors qu’ils prennent garde aux soulèvements que les cœurs surannés réservent à ce nouveau clergé !

Les premiers bénéficiaires de l’hégémonie du progrès sont… les progressistes. Les prélats du progrès récoltent en bons aumôniers la moisson de leurs homélies, comme l’église a amassé durant des siècles sa fortune colossale sur la crédulité des âmes simples. Le progressisme est une usurpation de la tradition populaire.

Mais est-il si nouveau, ce préjugé des « progressistes » supérieurs aux « conservateurs » ? Non, c’est lui qui a pris un coup de vieux. Le « désir d’avenir » est un peu fatigué. Tandis que le désir du passé est un acteur vigoureux du présent. Peut-être que ce sont les progressistes, au fond, qui sont des réactionnaires.

Monsieur Macron, méfiez-vous!

Les progressistes ont pris le masque de cire des figures de musée, et les conservateurs la mine d’une jouvence de l’histoire, le souffle de ce que la littérature allemande appelait au XIXème siècle « l’âme du peuple », le sturm und drang (« tempête et passion »). Certes, ce qui fut autrefois le romantisme du « mal du siècle », avec des écrivains de génie, avec René et Werther, montre aujourd’hui une infirmité canaille, moins sublime, disant ce qu’elle peut avec les accents populeux de ceux que la culture progressiste a privé de langage. Le progressisme n’est plus un humanisme.

Macron a déjà réduit sa flamme progressiste aux convenances pour complaire aux codes de l’opinion. Il aurait remplacé, dit-on, ses manches de mousquetaire, raffinement trop criant pour ceux que l’élégance énerve, par des boutons ordinaires. Dommage. Le calcul flétrit le panache de la liberté. L’intimidation sociale est la pire forme de conformisme réac.

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M. Macron, méfiez-vous, le progressisme radical a des conséquences terribles. Je vous invite à refaire un tour par ici, sur notre rive sud. D’abord, personne ne vous réclamera une génuflexion pour les crimes de vos ancêtres, je vous assure. Ici, les gens sont bien plus obsédés par les crimes d’un troisième type, inventés par des gosses sortis de leurs entrailles, déjà emmaillotés de poudre. Ici vous verrez ce que Baudelaire, poète ultra-conservateur de la modernité, appelait le « bizarre ».Vous y croiserez les yeux charbonneux du barbu, le front pâle du désœuvré, la petite coquette en minijupe cheveux au vent, la jeune nonne voilée, le vieux brigand à la dent en or, l’ivrogne anarchiste, le camelot à la sauvette, l’épicier policé, le chauffard grossier, la dégaine du gardien de voiture, le bigot onctueux, le marchand cauteleux, le rémouleur (tiens, ça existe encore ?), le fabriquant d’alambics, le vendeur d’herbes opiacées, bref, tous ceux qui n’ont goûté à aucune faveur du progressisme – nationaliste, marxiste, révolutionnaire ou même islamiste.

Vous les verrez défiler, ombres charnelles de leur caverne délabrée, la Tradition. Ils vous regarderont avec leur ironie espiègle et résignée. Ils vous diront  : « Vous êtes progressiste, brillant, instruit, prince du progrès. Mais voyez-vous, comme tous vos semblables, les progressistes d’ici, vous ne voulez pas de nous. Le dieu de votre Progrès nous a écartés de sa Cour. Il nous a fait un pied de nez. Car nous sommes le souvenir auguste de l’Ancien, le sourire mélancolique du Passé, la lenteur vermoulue de l’Antique, la tortue immobile du temps qui observe le lièvre courant à perdre haleine. Et de la carapace immobile, vous entendrez un soupir qui dit : « Le temps ne marche pas avec nous, hélas non, le temps n’est pas avec nous ! » Vous comprendrez alors que le temps des progressistes a perdu son humanité. Mais la morale de la fable, à la fin, que dit-elle ? Que c’est la tortue, à l’arrivée, qui fait un pied de nez au lièvre.



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