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Les « Infiltrés » : haut les masques !


Les « Infiltrés » : haut les masques !

Plutôt distrayante, la polémique “déontologique” déclenchée dans le microcosme médiatique par “Les Infiltrés”, le nouveau magazine de David Pujadas sur France 2.

Le principe de départ en est simple : “infiltrer”, précisément, un journaliste, muni d’une fausse identité et d’une caméra cachée, dans une entreprise ou une institution pour montrer ce qu’on souhaite à tout prix y dissimuler.

Problème : la charte des journalistes interdit, paraît-il, d’utiliser des moyens “déloyaux” pour obtenir des infos. Mais où commence la déloyauté, et où s’arrête la complaisance ?

Il y a beau temps que les stars de la politique et du showbiz se plaignent des journalistes, ces “chiens” qui font mine d’être leurs amis pour mieux les démolir ensuite, au détour d’un article ou même dans un livre ad hoc. Mais ce genre de “trahison” ne choque guère, et pour cause : elle est bilatérale ! Le gazetier et son “sujet” savent fort bien tous deux à quel jeu ils jouent – et la parade de séduction est aussi sincère d’un côté que de l’autre.

Même les journalistes embedded, comme on dit maintenant – en français : embarqués dans la suite d’un politicien en campagne et traités comme des intimes – n’ignorent pas à quoi s’en tenir ; ou alors, ils auraient mieux fait de rester savetiers…

Dans notre feuilleton “Les Infiltrés”, dira-t-on, l’affaire est plus grave : seul le chat sait à quel jeu il joue avec la souris … Mais ne pleurons pas trop vite sur l’infortuné rongeur : lui aussi a eu le temps de s’adapter : la preuve, il a troqué de longtemps mentors et autres pères Joseph au profit “d’experts en communication”. Leur job ? Manipuler les manipulateurs, comme dirait Pasqua.

Depuis Séguéla, ces gens-là ne se cachent même plus d’être ce qu’ils sont : des spin doctors dont la mission consiste à masquer la réalité grâce au story-telling. En VF : des laveurs de cerveaux chargés de nous “raconter des histoires”. (Désolé pour l’abus de jargon anglo-saxon ; c’est que, comme souvent depuis deux ou trois siècles, la chose a débarqué chez nous avant le nom.)

Désormais, toutes les personnes physiques ou morales dignes de ce nom – à défaut de l’adjectif – peuvent se payer les services de ce genre d’illusionnistes. Un journaliste “à l’ancienne” se trouverait fort dépourvu, avec sa lourde carapace déontologique, pour affronter un tel progrès ! Comment débusquer la vérité, à travers le plaisant rideau de fumée parfumée dont elle est enveloppée ?

Je les entends d’ici, les sirènes de ces grands communicants : “Pourquoi ne pas travailler en bonne intelligence ? Nous avons tellement d’intérêts en commun, n’est-ce pas ? Et puis d’ailleurs, nos comptes sont clairs ; nous n’avons rien à cacher… La preuve : je vais vous les montrer moi-même, nos coulisses ! Parce que je vous aime bien …”

Face à ce genre d’hypnose, un Tintin-reporter digne de ce nom n’a qu’une alternative : trahir sa “déontologie”, ou changer de camp (Il y a des exemples…)

“Donnez-moi un masque, et je vous dirai la vérité”, écrivait Oscar Wilde. En l’occurrence le pauvre journaliste, invité à ce genre de bal masqué, ne saurait faire correctement son métier qu’en chaussant un loup à son tour. “Larvatus prodeo”, comme disait Descartes.

Il y a une trentaine d’années, un journaliste allemand nommé Gunther Walraff s’était fait une tête de Turc juste pour mesurer in vivo le taux de xénophobie chez les Boches. Résultat décevant : on apprit essentiellement, au terme de cette ébouriffante enquête, que les Turcs se sentaient turcs et les Allemands plutôt allemands…

Voici quelque dix ans de cela, une journaliste nommée Anne Tristan s’était fait passer six mois durant pour une adhérente du Front National. Son but ? Montrer de l’intérieur la terrible réalité du FN !

A l’époque, il ne s’était trouvé personne pour protester contre une telle méthode. Mais laissez donc l’oncle Paul resituer pour vous le contexte : dans ces années noires (1984-2007), tous les moyens étaient légitimes pour combattre le FN, puisqu’il menaçait la démocratie – et par la voie du suffrage universel, en plus !

Aujourd’hui, qui penserait encore à s’introduire par effraction dans ce “Grand Corps Malade” qu’est devenu le FN ? (Sans parler du PC, petit cadavre à la renverse…)

Mais le modèle de “déloyauté” journalistique vient de plus loin. Albert Londres fut le premier à trahir le serment d’Hypocrite de sa profession ambiguë : pour voler au-dessus du nid de coucous de la psychiatrie des années 20, le fourbe n’avait-il pas dissimulé son état civil et mental ?

Le premier sujet abordé par nos “Infiltrés” n’était guère éloigné : la maltraitance dans une maison de retraite ordinaire. Une telle enquête, d’utilité publique, justifiait à l’évidence le recours à ce procédé. Sans sa blouse “d’aide-soignante”, jamais la journaliste n’aurait pu montrer le cauchemar quotidien que vivent ces “résidents” victimes en permanence de négligences, d’humiliations, voire de sévices. Manque de moyens, d’hygiène, de personnel compétent – et même de simple compassion : l’horreur est humaine…

Toutes choses égales par ailleurs, nos “Barbares” – qui ne connaissaient même pas la Déclaration universelle des droits de l’homme ! – traitaient souvent mieux leurs anciens que ne le font nos Modernes…

A coup sûr les sujets annoncés pour les prochains numéros de l’émission justifient un tel procédé. Comment filmer “dans la transparence” le travail au noir, ou le quotidien d’une secte ?

L’urgence était moins évidente l’autre mercredi. Pour leur deuxième épisode, “Les Infiltrés” avaient choisi de prendre au piège de ses propres pratiques un hebdo people (Closer en l’occurrence). A quoi bon ? Nul n’imagine que des “enquêteurs” en quête de bourrelets et d’infidélités sont allés poser directement la question à l’intéressé(e) !

Aussi bien n’a-t-on pas appris grand chose ce soir-là (surtout moi !) Sauf peut-être dans le débat sur “l’arroseur arrosé”, où la rédactrice en chef du magazine incriminé a tenu bon sous une mitraille convenue. Mais, vous savez ce que c’est : question Audimat, “Les dessous de la presse people”, ça marche quand même mieux que “les nouvelles filières de l’immigration clandestine”, bizarrement…

Photo de une : David Pujadas, par Ksenia B, flickr.com



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