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Le style, grand oublié de la rentrée littéraire

Denis Grozdanovitch, "Une affaire de style" (Grasset, 2025)


Le style, grand oublié de la rentrée littéraire
Denis Grozdanovitch © JF Paga

Monsieur Nostalgie insiste sur la ligne éditoriale à adopter. Il n’en démord pas, son mantra demeure: « Sans style, point de salut ! ». Il en profite pour évoquer l’essai de Denis Grozdanovitch paru chez Grasset en début d’année et quelques illustres stylistes oubliés…


Le style n’est pas la pelisse élimée, mitée, douteuse qu’enfilait en été Proust et qui amusait Paul Morand, ce n’est pas un vêtement d’apparat de la littérature, un habit de lumière pour parader à la foire aux bestiaux, mais son ossature, sa trame, ses minutes judiciaires. Partant de ce principe, le lecteur de cette rentrée 2025 peut être surpris de sa quasi-disparition. De son occultation à son mépris de classe, le fondement d’une écriture est une chose sans intérêt de nos jours. L’écriture serait accessoire, vaguement obsolète. Dépassée car inopérante, car ne répondant pas aux aspirations profondes des lecteurs. Seul le sujet compte, seule la plaidoirie a valeur littéraire, seule l’émotion grossière, déversée en vrac, à la lumière aveuglante, est estimable. C’est le cri qui fait l’écrivain et non ses soupirs. Nos contemporains seraient-ils incapables d’apprécier le tintinnabulement des mots, leur miroitement et leur écrasement sur notre imaginaire ? Des histoires salaces, meurtrissures familiales montées en épingle qui finissent par tourner à vide, il y en a beaucoup trop en septembre. Des filiations honteuses aux plaies d’enfance grinçantes, un peu lancinantes et mal trafiquées, les librairies en débordent. L’écume l’a emporté sur l’agencement, sur la vague indélébile du texte ; sa mystérieuse trace serait seulement une affaire de « privilégiés ». Nous vivons une époque de l’ersatz. On croit lire un livre alors que souvent, nous n’avons droit qu’à l’hallali sans consistance, sans matière féconde, rancunier et mal fagoté, une laborieuse rédaction d’écoliers bavards. Le pitch se suffit à lui-même. L’idée même du pitch remplace l’harmonie narrative. On se contentera donc des épluchures sous peine de passer pour un schnock. Qualité que je revendique, oui, je suis benêt, attardé, confiné dans mes lectures, dans mes vieilleries, j’attends de la phrase qu’elle produise son effet magique, qu’elle me sorte de l’ordinaire, de ma torpeur du quotidien, que la formule espiègle pleine de soubassement me harponne à la veillée. Je crois que je peux attendre encore longtemps l’éclat délirant ou le désespoir cosmique poindre entre les pages. Ce n’est plus d’actualité. À l’heure où les romans s’entassent, avec un retard coupable, Une affaire de style de Denis Grozdanovitch, paru en janvier dernier, m’a semblé un bon point de départ à cette chronique. Parce qu’en dehors du style, de quoi la littérature peut-elle bien être le substrat ? L’essayiste a un rudement bon jeu de fond de court, les références pleuvent dans son recueil, les appuis sont solides, de Bergson à Henry James, de Montaigne à Magris, il connaît la mécanique des relances, un coup droit propre sans emphase conjugué à un revers académique assez redoutable, cet adversaire est coriace. On aime Grozda, l’ex-tennisman, pour son brio, son « french flair », ses montées intempestives au filet, sa création d’un plan de bataille qui désoriente, c’est la marque des mélancoliques enjoués. Grozda est surtout un lecteur à l’oreille tendue qui décortique, par exemple, les ruses de Montherlant, en évoquant son « enthousiasme mêlé de gêne devant les envolées trop pompeuses ». Ce voyage en érudition, saute-moutons gracieux et caustique, est à la fois une déclaration d’amour à certains auteurs et une démarche esthétique. Et puis, quand Grozda s’arrête sur le cas de Vialatte, on est entre amis, entre frères. « D’ailleurs, mon admiration a toujours été telle à son égard que, pendant bien longtemps, elle m’a empêché d’écrire en vue d’une quelconque publication » souligne-t-il. Se mesurer au maître auvergnat en dissidence, il fallait en effet une part d’inconscience et de bravoure. Nous avons tous été à son école buissonnière de la chronique désarticulée, métaphysique et ménagère. Grozda sait pertinemment que nous tournons tous autour de cette histoire style, qu’elle nous accapare l’esprit, nous fascine et nous chagrine, car le style est l’expression de nos fermentations. Le style n’est pas la succession de masques interchangeables, une ornementation de la pensée, stuc ou finasserie, il est roc, il est socle, tutelle essentielle. Écoutons Félicien Marceau nous dire sa vérité : « le style n’est pas seulement une manière d’écrire, je crois que c’est une manière d’exister, une manière d’être. Ce n’est pas quelque chose qu’on ajoute ». « C’est rare un style ! », Monsieur Céline, vous aviez raison. Peut-être qu’Audiberti s’est approché le plus près de ce suc : « le grand écrivain, le vrai écrivain est celui qui est capable de formuler par écrit la masse poétique qui traîne dans la tête et le cœur des hommes quelconques ». Tant qu’il existera des livres et des Hommes pour s’intéresser au style, le combat ne sera pas perdu.

234 pages




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Journaliste et écrivain. Dernières publications : "Tendre est la province", (Équateurs), "Les Bouquinistes" (Héliopoles), et "Monsieur Nostalgie" (Héliopoles).

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