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Le stage de Seconde: entre reconquête et défaite

Les entreprises sont-elles là pour apporter une solution au "désœuvrement" de nos jeunes?


Le stage de Seconde: entre reconquête et défaite
Les beaux gosses, comédie de Riad Sattouf, 2009 © Canal +

Les élèves de seconde devront faire un stage de deux semaines en entreprise du 17 au 28 juin. Cette décision a été prise suite aux évènements survenus après la mort de Nahel. Les lycéens recherchent donc actuellement une entreprise pour les accueillir…


Inutile de vous demander de vous souvenir des émeutes de juin 2023. Nous avons tous en mémoire ces images de désolation qui, onze jours durant, ont alimenté les journaux télévisés. Le bilan, chaque jour, s’alourdissait pour atteindre finalement plus d’un millier de blessés (dont 782 agents des forces de l’ordre) et un milliard d’euros de dégâts matériels.

Après le constat est venu le temps de l’analyse. Qui allait-on incriminer cette fois-ci ? Les réseaux sociaux ? L’état psychologique des jeunes ? L’ultra-violence des jeux vidéos ? Oui, probablement ne sont-ils pas innocents mais déjà maintes fois pointés du doigt lors de précédents faits de société. Or il s’agissait, par son ampleur et sa durée, d’un événement assez inédit et à situation exceptionnelle, coupable exceptionnel ! Hors de question pour le gouvernement de creuser des pistes culturelles qui se seraient révélées fort glissantes. Le coup de génie de nos dirigeants a donc été de pointer du doigt un nouveau venu dans le cercle très fermé des boucs émissaires des problèmes sociétaux : le désœuvrement des jeunes !

Le diagnostic a de quoi surprendre : ces émeutiers que l’on avait vu s’acharner sur des bâtiments publics et attaquer des commissariats et mairies à coups de tirs de mortier ne seraient en réalité que des chérubins qui s’ennuyaient. « Bon sang mais c’est bien sûr », comme aurait dit le commissaire Bourrel, « Eussent-ils été à l’école qu’ils ne l’auraient point détruite ! ».

Mauvais diagnostic : mauvaise prescription

Connaissant le goût de nos dirigeants pour le vocabulaire martial, ce ne fut pas une surprise d’entendre Gabriel Attal, en septembre 2023, annoncer une politique de « reconquête du mois de juin ». C’est dans cette optique que fut instaurée l’obligation pour 560 000 lycéens de Seconde générale et technologique d’effectuer un stage en milieu professionnel, la deuxième quinzaine de juin et ce, dès 2024.

@gabriel_attal

Un stage obligatoire pour les élèves de seconde générale ou technologique ? Je te résume ce qui change et pourquoi. #Stages #Lycee #foryou #college #politique #ecole

♬ son original – Gabriel Attal

Si, d’un mauvais diagnostic, ne peut vraisemblablement découler qu’une mauvaise prescription, l’idée n’en demeure pas moins intéressante car elle répond à un réel besoin : celui de resserrer les liens entre l’École et le monde professionnel. Ces deux entités se révèlent trop souvent déconnectées l’une de l’autre et ne se comprennent pas, faute de parler le même langage. Les conséquences en sont, parmi d’autres, des difficultés d’orientation des jeunes et un manque de vocation ou d’intérêt pour certains corps de métiers qui offrent pourtant de belles perspectives d’avenir avec des possibilités de formations et d’embauches.

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Que la mise en place de cette période de stage ne soit pas faite pour les bonnes raisons n’est, cependant, pas sans conséquences. Elle fait figure de mesure isolée et ne semble pas faire partie d’un plan plus vaste et plus cohérent sur les passerelles École/entreprises ni sur l’orientation professionnelle des jeunes. Pour preuve, le gouvernement vient d’annoncer, dans le même temps,  qu’à partir du 1er mai 2024, les aides octroyées aux entreprises pour la conclusion de contrats de professionnalisation seront supprimées (200 millions d’économies pour l’État). Tout cela manque cruellement de cohérence, d’autant que ce type de contrat en alternance est très apprécié des entreprises et a fait ses preuves comme vecteur privilégié pour entrer dans la vie active. Peut-être faudrait-il également revaloriser les filières professionnelles qui traînent depuis bien trop longtemps une mauvaise réputation ? Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé fin 2023 que l’objectif de ce stage «est de permettre aux élèves de découvrir différentes facettes du monde professionnel pour envisager ensuite un choix d’orientation plus libre, mieux éclairé » mais ne semble pas trouver problématique que ce stage intervienne après le choix de spécialités des lycéens. 

SNU pour ceux qui ne trouvent pas une entreprise pour les accueillir

Bien évidemment, ces centaines de milliers d’élèves de Seconde ne vont pas tous trouver une entreprise pour les accueillir, en particulier ceux issus de milieux les plus défavorisés.  Là encore, le gouvernement a anticipé cette problématique, et sa solution a de quoi surprendre : deux semaines de SNU (Service National Universel), présenté comme un séjour de « cohésion nationale », pourront se substituer au stage. Peut-on hasarder l’hypothèse que tout cela ne serait que prétexte pour apprendre aux jeunes à marcher au pas ?  L’idée n’en demeure pas moins séduisante : un peu d’ordre et de discipline ne peuvent nuire à notre jeunesse mais il s’agirait alors, par souci d’égalité, de généraliser le SNU à tous les élèves de Seconde. Il est amusant d’imaginer les réactions si une telle proposition était venue de l’extrême droite. Nul doute que beaucoup se seraient indignés et auraient probablement dénoncé une mesure autoritaire et réactionnaire…

Notons également que ce stage est, au grand désespoir des entreprises, un stage d’observation et non d’immersion. S’agirait-il seulement d’occuper les jeunes ? Pourquoi ne serait-il pas question d’exiger d’eux qu’ils mettent à la pâte leur fragile petite main, quand dans le même temps, on soupçonne celle-ci d’être à l’origine de dégradations et de tirs de mortier ? Non, un stage d’observation n’est motivant ni pour une jeune personne de 15 ou 16 ans, ni pour l’entreprise qui l’accueille. Celle-ci n’a pas vocation à être une garderie pour adolescents. Si l’on excepte certains secteurs qui nécessitent un personnel habilité, la réalité d’un métier se vit et s’expérimente. Ce n’est que dans l’implication que peut naître une vocation, un projet professionnel, ou même un simple soupçon d’intérêt.

Loin d’être combattu, le désœuvrement des jeunes, si tant est qu’il existe, risque d’être simplement transposé de la rue à l’entreprise. En outre, il n’est pas l’apanage des lycées puisqu’il est, depuis quelques années, le pire cauchemar des services de ressources humaines, ceux-ci étant de plus en plus confrontés à des nouvelles générations d’employés qui ne sont que vaguement concernés par le devenir, la bonne santé ou encore l’image de leur entreprise.

À ceux qui rétorqueraient que tout cela n’est que vocabulaire et que la nuance est faible, je leur opposerais l’image de l’omelette au bacon dans laquelle si la poule n’est que concernée, le porc, lui, est impliqué.



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