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Le souci des animaux


Le souci des animaux

Vous reprenez dans votre livre la polémique avec Paola Cavalieri qui réclame l’extension des Droits de l’homme aux grands singes. Pourquoi cette idée vous déplait-elle tant, à vous que le regard d’un chimpanzé peut émouvoir autant que celui d’un enfant ?
C’est une outrance qui ne peut que braquer le public, et surtout, un programme amnésique de l’Histoire. Du procès de Nuremberg, par exemple, Paola Cavalieri retient simplement qu’on y a recommandé les expérimentations sur les animaux, ce dont elle se scandalise. Or il s’agissait, bien entendu, de condamner les expérimentations humaines pratiquées par les nazis. Si la défense ou, comme ils disent, la libération des animaux, suppose de compter pour rien cette abomination européenne du XXe siècle, c’est à désespérer.

Paradoxalement, sa proposition est empreinte de cet anthropomorphisme qu’elle vous reproche.
Oui, c’est juste, puisque les chimpanzés sont ceux qui, psychiquement, nous sont les plus proches et que ce programme d’extension des droits de l’homme laisse hors du droit ceux qui sont les plus nombreux et nous concernent au premier chef, les animaux de ferme que nous mangeons. Les questions de l’élevage en batterie, des transports barbares, des règlementations non respectées, échappent complètement à cette problématique.

Sous le règne libéral, j’ai le droit d’être femme si je suis né homme, j’ai le droit d’avoir un enfant à 60 ans. Si les droits sont supérieurs aux lois de la nature, pourquoi se contenter de défendre les droits des animaux plutôt que d’étendre les droits de l’homme aux animaux ?
Je comprends votre remarque. Et je partage votre inquiétude quant à cette inquiétante hypertrophie du juridique. Mais réclamer des droits pour les animaux n’est pas du même ordre, ce ne sont ne sont pas des droits que je revendique pour ma subjectivité toute puissante et ses aspirations plus ou moins légitimes, c’est pour ces prochains que sont les autres vivants, et en vertu d’un sentiment de solidarité profonde. Une première esquisse de ces droits existe du reste depuis plus d’un siècle et demi. Le combat a été mené, à partir de 1848, par des républicains comme Michelet, Hugo ou Schoelcher, puis Zola, Clémenceau contre la droite catholique et réactionnaire.

Avec la révolution du vivant, ce n’est pas seulement la définition des droits mais aussi celle de l’homme qui change sous nos yeux. Un être humain, dites-vous, est un être vivant issu d’un homme et d’une femme. Peut-être pas pour très longtemps. La percée, notamment aux Etats-Unis, des militants de la cause animale, traduit peut-être un effacement des frontières entre êtres vivants.
Oui, c’est vrai, le monde qui vient est celui de l’arasement des différences : entre hommes et femmes, en rupture avec ce qu’on appelle la nature, entre animaux et humains, en continuité avec ce qu’on appelle la nature…. Or il ne peut y avoir d’histoire que par fonctionnement de différences, qu’elles soient reçues ou construites. Mais les distinctions sont une chose, la valorisation de ces distinctions pour donner à une catégorie tout pouvoir sur d’autres en est une autre. Hommes et bêtes, nous sommes une communauté des vivants liés par un même destin sur la terre. Les maladies interspécifiques, vaches « folles » (encéphalite spongiforme du bovin) et oiseaux infectés (syndrome respiratoire aigu sévère) devraient nous donner à réfléchir.

Vous récusez la domination de l’animal par l’homme. Faut-il renoncer à se nourrir d’animaux ?
Je ne récuse pas la domination mais la chosification, la totale instrumentalisation des animaux. Non, je ne suis pas végétarienne, sans pour autant m’en vanter. Mais il faut bien voir que le problème n’est pas tant celui d’une éthique personnelle que celui d’une politique du vivant, à savoir que la toute puissante filière viande ne prend en compte que la rentabilité. Dans Eternel Treblinka, Patterson a montré l’influence, sur les techniques d’abattage, du système de mécanisation du travail élaboré par Henry Ford. Sans un entraînement systématique à l’insensibilité, la chaîne ne fonctionne pas. Aujourd’hui, du reste, le problème réside bien plus dans l’élevage que dans l’abattage. J’attends que des directives européennes, qui se font de plus en plus exigeantes, entraînent une régression rapide de notre inhumanité. Cela étant dit, je ne méconnais pas que sans l’exploitation de l’énergie animale, il n’y aurait pas eu de progrès de la civilisation. Je souhaite seulement que nous cessions d’être maîtres et possesseurs des animaux, que nous devenions leurs maîtres et tuteurs.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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