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Le glamour au service des barbus


Heba al Abasiri (photo d'écran)

Cette ravissante jeune femme s’appelle Heba Al-Abasiri. En Egypte, elle présente l’émission « 360 degrés » dont les débats politiques à bâtons rompus alimentèrent la contestation de la place Al-Tahrir.

Sexy en diable, Heba a toujours refusé de vêtir un voile islamique lorsqu’elle invitait des islamistes que ses tenues ultra-féminines ne manquaient pas de choquer. Jusqu’ici, son électroencéphalogramme politique restait désespérément plat, Heba préférant confesser ses problèmes de poids à la presse people que d’intervenir dans l’arène politique.

Il faut dire qu’Heba n’a pas toujours été férue de politique, la majeure partie de sa carrière ayant été consacrée aux soirées de divertissement ramadanesques. On comprend mieux le coup de tonnerre provoqué par sa dernière sortie médiatique : Heba Al-Abasiri a ni plus ni moins déclaré souhaiter l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans !

Quelle mouche l’a donc piquée ? A trente ans, divorcée avec un enfant à charge, l’animatrice surmaquillée délivre une petite leçon de choses aux politologues orientalistes. Son ralliement aux disciples de Hassan al-Banna ne laisse pas d’interroger sur les motivations réelles d’un électorat bourgeois au look occidentalisé et à la condition économique fort enviable. Dans son cas, le schéma d’explication marxiste tombe à plat. L’animatrice de talk-show appartient à la nouvelle classe des nantis qui habitent Zamalek, quartier chic du Caire où les villas cossues le disputent aux appartements avec vue sur le Nil.

Au raïs le gouvernement, aux Frères la société

Dans les années 1960, un choix aussi radical se serait produit à l’autre extrême du champ politique, du côté de l’opposition gauchiste. En 2011, le recours à l’option islamiste résulte de la débâcle idéologique du nationalisme arabe qui n’a pu conserver les rênes du pouvoir qu’en s’appropriant le registre islamique. Volens nolens, l’histoire récente de l’Egypte est en effet celle d’une lente mais complète désécularisation débouchant sur la victoire symbolique des Frères Musulmans.
En rupture avec le nationalisme séculier nassérien, le régime instauré par Sadate et Moubarak a laissé les Frères conquérir l’hégémonie culturelle de l’Egypte réislamisée. L’Etat postnassérien passa ainsi un compromis implicite avec la confrérie. Ce gentlemen’s agreement réactualisa la fonction de nasiha (conseil) occupée par les clercs sunnites se tenant traditionnellement en retrait du pouvoir politique[1. En dépit de la devise de la confrérie : « Le Coran est notre constitution »]. Au raïs le gouvernement, aux Frères la société.

Or, dans l’Egypte nouvelle, au grand dam des millions de Coptes, moralité, politique, religion et identité tendent à ne faire qu’un. Tout est à reconstruire, y compris pour les Frères Musulmans éclatés en une myriade de courants aux options stratégiques différentes[2. Pragmatique, la jeune garde des Frères joue la carte de la normalisation avec Israël, avançant prudemment vers l’acceptation d’une paix froide. Ces derniers mois, des dissensions très nettes sont apparues entre l’aggiornamento idéologique des jeunes et la radicalité de leurs aînés, qui contrôlent l’appareil de la confrérie]. Partagée entre le désir libidinal de gouverner et la realpolitik, la confrérie garde en mémoire l’échec de la tentative centriste du petit parti Al-Wasat, sans doute trop modéré pour répondre aux aspirations identitaires de la majorité des égyptiens.

Un islamisme bobo ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’affaire Heba al-Abasiri. S’il ne doit pas être extrapolé par la sociologie politique, ce soutien individuel ne marque pas moins l’ancrage islamique d’une frange des élites. Happés par les vents violents de la mondialisation, des pans entiers de la bourgeoisie résistent à l’occidentalisation en brandissant le croissant et le drapeau. Après tout, son soutien inattendu à la confrérie islamiste est bien la seule chose qui différencie sensiblement Heba al-Abasiri de ses consœurs françaises ou américaines.
A la manière de certains bourgeois bohèmes votant à l’extrême-droite pour tout gage de patriotisme tricolore, l’islamisme bobo incarné par Heba sera-t-il l’une des clés du futur succès des Frères ?



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est journaliste.

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