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La dernière tentation du Duce


La dernière tentation du Duce
photo : Zawezome
photo : Zawezome

Il y a un singulier mélange de Vittorio Gassman et d’Ugo Tognazi dans le dernier Milza tant certaines répliques semblent échappées d’une scène des Monstres. La faute à leur principal protagoniste, personnage fantasque jouant allègrement du menton. Un certain Benito Mussolini qui voulait signer l’acte de décès de la République de Salo par ces mots : « La succession se trouvant ouverte comme conséquence de l’invasion anglo-américaine, Mussolini désire remettre la République sociale aux républicains et non aux monarchistes, la socialisation et tout le reste aux socialistes et non aux bourgeois ». Rêve d’un soir qui fit long feu mais continue à alimenter les fantasmes des derniers néo-fascistes italiens, nostalgiques d’un fascisme-mouvement aux accents socialisants qui tranche avec l’idéologie petite-bourgeoise du fascisme-régime. Quitte à oublier que la République Sociale de Salo fut une farce et le projet d’association capital/travail un vœu pieux dans la bouche d’un Duce en mal de popularité ouvrière.

C’est lorsque les rats quittent le navire…

Dans un style sobre et épuré, d’une précision chirurgicale, Milza nous emmène dans la tête du maître de l’Italie fasciste, qui, loin d’être un fou furieux nihiliste, tel Hitler suicidé dans son bunker, tenta désespérément de négocier une paix séparée avec les Alliés pour sauver les siens- à commencer par lui-même et éviter un bain de sang. Ironie de l’histoire, l’unanimité se fit à ses dépens. Dès juillet 1943 et sa destitution par le Grand Conseil fasciste, les rats commencèrent à quitter le navire.
Prenant ses rêves pour des réalités, le Duce n’eut de cesse de repousser l’inéluctable, cultivant l’illusion d’une transition douce avec les socialistes,. Jusqu’à ses derniers instants, le 28 avril 1945, Mussolini crut en une opération commando de chemises noires dépêchées à Giulino di Mezzegra pour le délivrer d’une mort certaine. Comme ce 12 septembre 1943 où Otto Skorzeny le tira de sa prison romaine, prélude à la création de la République sociale de Salo. Tout cela finit piteusement le 28 avril 1945 dans la campagne lombarde. Après sa capture en tenue de soldat allemand abandonné dans un fourgon, Mussolini fut exécuté avec sa maîtresse par des partisans communistes peu avares de centralisme démocratique. Un procès de Moscou sans témoins à la place du Nuremberg que lui promettaient ses premiers geôliers ; ainsi en décida le destin, pour le plus grand bonheur des historiens.

….que meurent les empires

Ce qu’il y a de fascinant dans la mort des empires, c’est cette atmosphère de fin de règne qui accompagne tous les protagonistes de l’affaire, du leader déchu au plus petit lampiste. A Sigmaringen ou à Côme, le décor change mais la trame reste la même : sauver ce qui peut encore l’être dans les décombres de la défaite. Ici et là, les Allemands servent de geôliers à ceux qu’ils prétendent protéger, maintenant Mussolini et sa troupe à la merci des Allemands tel un Pétain sucrant les fraises dans le château des Hohenzollern, la sénilité en moins. Au jeu du plus couard, la troupe des SS négociant- contre l’avis du Führer- son passage en Suisse contre l’immobilisation du convoi du Duce en Italie, se montre sans rivale.
A l’aube de leur départ de Milan, imaginons une conversation surréaliste entre Déat, ministre du Travail du maréchal et Pavolini, ultime bras droit du Duce. Cela aurait pu donner : « Allo, Alessandro, toujours encerclé par les rouges ? Ca sent la quille avec les Boches ? – Marcel, je ne peux pas te parler, le SS Birzer nous écoute. Tout ce que je peux te dire, c’est que Benito multiplie les coups de sang. Il a même refusé un plan d’évasion proposé par les partisans de Milan. C’est le début de la fin, je vais essayer de sauver ma peau, direction la Valteline. Tant pis si le Vieux meurt sur scène ».

Benito et Clara : une exécution ordinaire ?

Plus sérieusement, soixante-cinq ans après les faits, on ne sait toujours pas qui a vraiment tué Mussolini et sa maîtresse Clara Petacci. Longtemps, l’historiographie communiste a présenté un certain colonel Valerio comme le pseudonyme de l’assassin du Duce, ce dernier se trouvant être un obscur comptable du nom de Walter Audisio reconverti en partisan sanguinaire. Cette piste ne résiste pas aux investigations du chercheur qui, à force de se perdre les pieds dans le tapis en tweed des services britanniques, ne sait plus où donner de la plume.

Eventée, la thèse des services secrets de Sa majesté cherchant à récupérer la correspondance entre Churchill et Mussolini pour mieux taire la considération gênante qu’entretenait Winston vis-à-vis de Benito.
Vaporisé, le trésor de Mussolini chipé à Dongo, dont les millions se perdirent entre les caisses (noires) du Parti Communistes Italien, celle de l’Etat et les poches des centaines de quidams qui eurent l’occasion de se servir. Un phénomène somme toute humain, trop humain… beaucoup moins obscène que le spectacle de ces centaines de badauds la bave aux lèvres qui insultaient et saccageaient les dépouilles pendues de Benito et Clara en pleine Piazzale Loreto à Milan. La bassesse galvanisa une foule ivre de ressentiment. Nombre de ces courageux de la vingt-cinquième heure chantaient sans doute Giovinezza à tue-tête du temps de la grandeur fasciste avant de profaner leur ancien fétiche.

Oubliée, la guerre civile larvée qui fit rage jusque dans les rangs des communistes italiens durant la phase de libération nationale, ce round d’observation pré-Guerre Froide qui vit s’affronter chemises noires, staliniens, démocrates-chrétiens, socialistes et monarchistes antifascistes – par ordre d’inhumanité !
Comme les texticules perecquiens, Les derniers jours de Mussolini se lit comme un polar à tiroirs, avec plusieurs fins possibles suivant la disposition des faits que le lecteur adoptera.
N’en dévoilons pas plus, de peur de déflorer le charme morbide du dernier Milza, qui se savoure comme une charogne baudelairienne, la truffe éveillée par l’odeur des corps pétrifiés de Benito et Clara.

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