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Une alchimie bien hermétique

« La Bête » de Bertrand Bonello, en salles aujourd’hui


Une alchimie bien hermétique
Léa SEYDOUX et George MACKAY, "La Bête", Bertrand BONELLO (2024) © Carole Bethuel / Ad Vitam Distribution

Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle (original!), les émotions humaines sont très mal vues. Léa Seydoux et Bertrand Bonello nous ennuient avec leur film SF en VF lourdingue.


Depuis Tiresia (2002), Bertrand Bonello, 56 ans, scénariste, réalisateur, musicien, en outre coproducteur de ses propres films, suit un itinéraire esthétique qui s’évertue à déjouer les attentes, quoique balisé par quelques motifs récurrents : la hantise du temps qui advient (au passé comme au futur), la menace de la catastrophe, la difficulté d’aimer… Son dixième long métrage se porte à bonne distance du court, énigmatique et capiteux roman de Henry James, La Bête dans la jungle, auquel il emprunte son titre, et dont il est censé s’inspirer. La bête du pressentiment tragique s’incarne ici, non pas dans l’Angleterre édouardienne, mais dans le colloque sentimental de Gabrielle (Léa Seydoux) et de Louis (campé par l’excellent acteur britannique George MacKay, rôle de prime abord dévolu à feu Gaspard Ulliel, disparu prématurément comme l’on sait dans un accident de ski). La liaison prend corps dans trois époques: en 1910, dans un Paris inondé par la fameuse crue de la Seine; en 2014 à l’âge du virtuel et des réseaux sociaux ; et en 2044, dans un univers où l’intelligence artificielle a définitivement terrassé les affects.


Une toile, trois ambiances

Intrigue labyrinthique, étagée dans le temps et dans plusieurs espaces géographiques, dont la signature ressortit davantage à un échafaudage intellectuel qu’à une foisonnante construction romanesque. Sous le signe d’Arnold Schönberg dont la bande-son exhumera un passage (tronqué) du génial sextuor à cordes La Nuit transfigurée, Gabrielle s’incarne d’abord dans une pianiste d’avant-garde de la Belle Epoque, jeune femme élégante et mondaine (Léa Seydoux fera l’essayage d’une bonne dizaine de jolies robes d’époque) qui, épouse morose d’un industriel de poupées, courtisée au passage par le couturier Paul Poiret, s’énamoure entre salon, loge d’opéra et véranda, d’un ravissant dandy rêveur à la mise coquettement collet monté, Louis.

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On croit comprendre qu’en fait, Gabrielle, soudain transportée dans un futur proche de notre présent (en 2044, donc), est soumise à un programme scientifique visant à purger son ADN des traumas subis dans ses vies antérieures… Dans sa troisième incarnation, Gabrielle, jeune comédienne au chômage en quête de castings, garde en l’absence des propriétaires une opulente villa moderniste perchée dans les hauteurs de Los Angeles, tandis que Louis s’est mué en harceleur névrosé s’apprêtant à venger dans le sang son supposé manque d’amour (toujours puceau, il ne peut aimer les femmes qu’en rêve) –  nouvel avatar de ces juvéniles serial killers que cultive l’Amérique du Nord.

Propos assez vain

Une chiromancienne de mauvais augure apparaît à l’occasion à Gabrielle, dans une dimension onirique qui ne se prive pas de piller David Lynch de façon quasi littérale. Tantôt allongée nue dans un bain d’eau noire régénérateur, tantôt nageant en sylphide dans une cave envahie par les eaux, l’héroïne solitaire se verra également instiller une piqûre dans l’oreille par un robot d’anticipation, sera draguée à l’occasion par une poupée-robot lesbienne de race noire (Guslagie Malanda)…

L’exercice de style a ses limites. Déjà, on s’en souvient, le cinéaste de L’Apollonide (2011) ou de Saint-Laurent (2014)  nous avait gratifié en 2016 d’un Nocturama (film qu’on peut revoir actuellement sur Netflix) désancré de toute réalité plausible où, dans un Paris en état de siège, une improbable bande de teenagers bon genre (leur obédience islamiste prudemment évacuée au passage) fomentait une série d’attentats à la bombe simultanés, pour finir piégée dans les rayons de la Samaritaine, fatalement pris sous la mitraille du GIGN…


Cette déréalisation est décidément la marque de fabrique d’un cinéaste dont l’ésotérisme abscons agace d’autant plus qu’il ne débouche, en somme, que sur un propos assez vain, plus ennuyeux que stimulant. Même les idées du générique de fin, à scanner sur QR Code, ou encore des green screen sur lesquels Léa Seydoux introduit et clôt son apparition, semblent relever davantage de la pose intellectuelle que d’enjeux esthétiques vitaux. N’est pas alchimiste qui veut.                    

La Bête. Film de Bertrand Bonello. Avec Léa Seydoux, Georges MacKay, Guslagin Malanda. France, couleur, 2023. Durée : 2h26.




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