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L’an prochain à Jérusalem?

Didier Long et Dov Maïmon publient « La Fin des juifs de France ? » (Le Cherche Midi, 2025)


L’an prochain à Jérusalem?
Manifestation contre l’antisémitisme, Paris, 19 juin 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Antisémitisme d’atmosphère, intimidations, agressions, attentats islamistes… les menaces qui pèsent sur les Français juifs sont nombreuses et alimentées par l’extrême gauche qui nazifie les « sionistes » depuis le 7-Octobre. Conséquence : beaucoup de juifs fuient la France pour Israël malgré les difficultés d’intégration.


Les juifs ont-ils un avenir en France ? Il y a encore quelques années, une telle question pouvait paraître absurde. Mais aujourd’hui, à l’heure où l’antisémitisme est redevenu dans notre pays un levier politique puissant, elle se pose de façon pressante.

Pour y répondre, Dov Maïmon, conseiller du gouvernement israélien, et Didier Long, théologien spécialiste des liens entre judaïsme et christianisme, ont rencontré durant des mois de nombreux acteurs de la communauté juive de France, mais aussi des politiques, des policiers, des figures du renseignement ainsi que des juges antiterroristes. Ils ont aussi compilé toutes les statistiques disponibles.

Le résultat de leur enquête n’est guère enthousiasmant. Mais comme le rappelle Maïmon, citant Billy Wilder, le réalisateur américain de Certains l’aiment chaud, à propos des juifs d’Europe avant la Shoah : « Les optimistes ont fini à Auschwitz, les pessimistes à Hollywood. » Le décor est planté.

Matière explosive

Premier constat : dans la France du xxie siècle, ce sont des leaders soi-disant « antifascistes » qui sont les plus prompts à manipuler la matière explosive de l’antisémitisme. Deuxième constat : la haine contemporaine envers les juifs a été régénérée par les préjugés qui circulent abondamment dans la communauté musulmane. Troisième constat : ces préjugés ont été renforcés par le narratif mensonger – et rassembleur au-delà de la seule rue arabe – selon lequel la barbarie du 7-Octobre constitue une réponse logique à une « colonisation ». « Comme tout immigré est censé descendre d’ancêtres victimes de la violence coloniale, sa propre violence ne peut être conçue que comme une réaction légitime à l’oppression, explique Didier Long. Dans ce cadre, se dresser contre l’antisémitisme en France, c’est se moquer de la souffrance des enfants palestiniens et soutenir le colonialisme. »

Résultat, la propagande portraiturant les juifs en nazis a porté en France ses fruits au-delà même des attentes des extrémistes qui l’ont imaginée. Pire encore, elle est devenue également nécessaire à la survie politique de la gauche et du centre. Si les partis progressistes changeaient miraculeusement de discours et osaient nommer les véritables causes de l’antisémitisme, une partie de leur électorat les répudierait au nom d’un pseudo-antiracisme acoquiné au déni (vous stigmatisez les musulmans et oubliez les enfants de Gaza), et une autre comprendrait que leur silence coupable s’explique par le clientélisme électoral. Conclusion de Didier Long : « Les juifs doivent donc être coupables pour qu’Emmanuel Macron et une partie du spectre politique puissent rester innocents. »

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Dans leur enquête, les auteurs montrent aussi qu’en France le ressentiment communautaire s’exerce surtout dans un sens, et que ce sont les juifs – visés par 68 % des agressions racistes recensées en 2024 – qui en sont les principales victimes. En 2018, ils encouraient déjà 25 fois plus de risques d’être agressés que des musulmans. Depuis deux ans, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, ce risque est 72 fois supérieur. Cette vertigineuse inflation explique pourquoi plusieurs experts du renseignement et de la sécurité redoutent un 7-Octobre dans notre pays.

Le viol d’une fillette juive à Courbevoie en juin 2024 résonne à cet égard comme une terrible alerte. « Le Hamas n’est pas vu par les anti-juifs comme monstrueux, mais comme puissant, estime Didier Long. Son inhumanité fascine. C’est pourquoi une enfant juive de 12 ans a été violée au nom de la Palestine par des camarades de son âge. Ils obéissaient à un modèle. Le problème c’est que leurs références sont des terroristes et leur chemin initiatique, le crime contre l’humanité du 7-Octobre. »

Avenir cauchemardesque

Autre menace : les islamistes sortis de prison ou en passe d’en sortir. À ce jour, 486 sont déjà libres. Et 371 sont encore détenus, dont certains qui présentent des profils particulièrement dangereux. Cela sans compter le retour du Proche-Orient des femmes affiliées à Daech ou à Al-Qaïda et de leurs enfants. Un avenir qui promet bien des cauchemars.

Voilà pourquoi l’« alya », l’immigration en Israël, est dans l’esprit de tant de juifs de France. Dov Maïmon suit justement les dossiers de ceux qui franchissent ce pas. Selon lui, la première déconvenue que beaucoup rencontrent survient quand ils se rendent compte que l’État hébreu n’a pas un modèle aussi redistributif que notre pays : « Israël est une société qui compte beaucoup sur la débrouillardise de ses habitants, les aides sont rares. Pour un Français juif de milieu populaire, dont 30 à 40 % du revenu est issu de l’aide sociale, le départ peut s’avérer matériellement impossible. » Autre point d’achoppement : le travail. « Difficile de trouver sa place quand on exerce une profession liée à sa langue d’origine, indique Maïmon. Si en France, votre seule compétence est administrative ou réglementaire et que vous ne parlez pas l’hébreu, vos connaissances auront peu de valeur en Israël. Tandis qu’un boulanger ou un ingénieur sont toujours utiles, où qu’ils aillent. »

Exode inquiétant

Ceux pour qui la transplantation fonctionne le mieux sont les plus jeunes, qui viennent en majorité avec le projet de vivre leur judaïsme. Célibataires, ils ont pour la plupart (70 % des cas) un profil traditionaliste. Les 30 % restants sont au contraire des juifs très sécularisés, avec une forte proportion de LGBT. Viennent ensuite les familles avec de jeunes enfants. C’est souvent à travers leur progéniture que l’assimilation est facilitée. Le retraité aisé représente aussi un cas fréquent, mais souvent en s’organisant une vie à cheval entre la France et Israël. La situation est en revanche plus délicate pour ceux qui émigrent entre 35 ans et 65 ans : une fois sur place, la dépendance aux seuls réseaux francophones locaux et les difficultés en hébreu rendent l’intégration très compliquée.

Depuis l’an 2000, 51 455 Français juifs se sont ainsi installés en Israël, formant le premier contingent d’immigrés des nations occidentales. Tous les Français devraient s’inquiéter de cet exode. Car les juifs sont souvent les premiers sur la liste, mais jamais les derniers. Ceux qui les ont nazifiés n’en pensent pas moins au sujet des autres Occidentaux. Derrière l’accusation de colonialisme, s’instruit le genre de procès en inhumanité qui prélude au massacre. Alors si les juifs sont le canari dans la mine, nous devrions commencer à nous alarmer : depuis le 7 octobre 2023, le canari ne chante plus et le désastre arrive.

La Fin des juifs de France ? Didier Long et Dov Maïmon, Le Cherche midi, 2025. 208 pages.

Septembre 2025 – #137

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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