Accueil Économie L’antilibéralisme, un enfantillage ?

L’antilibéralisme, un enfantillage ?


Photo : Atomische • Tom Giebel

À toute critique radicale du libéralisme est adressée régulièrement, dans Causeur, cette objection supposée imparable : « Alors, ce sont les méchants riches contre les gentils pauvres ? »
Aux yeux de certains collaborateurs de Causeur, il n’existe qu’une seule attitude politique adulte, sérieuse et responsable. Et celle-ci commande de critiquer sans relâche l’hégémonie idéologique supposée éternelle de la gauche, de l’Europe et de toutes les forces qui contribuent à affaiblir la République et la nation.

« Alors, ce sont les méchants riches contre les gentils pauvres ? » Le problème de cet argument n’est pas qu’il est faux : c’est qu’il ne s’apparente absolument en rien à un argument. Derrière cette formule se cache un ensemble de présupposés erronés. Une équation secrète fausse à chacune de ses étapes, dans toutes les équivalences qu’elle essaie d’établir. Voici cette équation : gauche libérale + communisme réel = gauche transcendantale = morale = moralisme + simplisme = enfantillage = illégitimité politique = casse-toi pov’ con ![access capability= »lire_inedits »]

« Alors, ce sont les méchants riches contre les gentils pauvres ? » C’est-à-dire : « Va jouer dans la cour de récré ! » Nous décrétons que ta parole n’est pas politique. Que ton discours relève intrinsèquement et exclusivement de la psychologie ou de la morale. Et nous savons aussi par avance que ta morale sera simpliste et moralisatrice. Tout cela est inscrit dans tes gènes anti-libéraux, camarade !
Cette réplique exprime le refus d’affronter les thèses anti-libérales sur le terrain politique. Ce tour de passe-passe rhétorique constitue une opération de langage éminemment politique, qui prétend circonscrire le champ politique au dialogue démocratique contradictoire entre libéraux. La politique, fiston, tu apprendras ça avec l’âge, c’est le dialogue rationnel entre libéraux à poils roux et libéraux à poils verts. La synthèse est certes une bouillie écœurante, nous l’admettons tous, mais tu découvriras qu’elle forge le caractère et qu’elle est une merveilleuse initiation à l’incurable et à l’amertume de la vie.

Les inégalités économiques et symboliques obscènes qui constituent la violence inouïe de notre monde, il faut le savoir, ne sont pas du tout un problème politique majeur, ni même mineur. Elles font partie de l’unique solution possible et n’ont aucun caractère politique.
Plus cette violence s’étend et s’intensifie et plus nous éprouvons pourtant à même notre corps − que nous soyons dominants ou dominés − combien elle nous blesse intimement, nous détruit et nous avilit. L’opposition entre dominés et dominants n’est pas celle entre les coupables et les victimes, ni celle entre les méchants et les bons. Nous sommes tous responsables, à des titres divers, du système de la domination qui nous rend tous chaque jour un peu plus méchants, nerveux et aigres.

Le communisme est une urgence physique aussi vitale pour les dominants que pour les dominés. Nous savons que la vraie politique, la sérieuse, est celle de nos évidences sensibles, qui sont toujours indiscernablement politiques et éthiques. La dette que chacun d’entre nous entend retentir mois après mois avec plus d’insistance à l’intérieur de son corps est une dette d’actes et de paroles nécessaires que chacun a contractée envers ses propres évidences sensibles.

Si nous refusons de payer et si nous voulons faire payer aux autres cette dette-là, nous allons droit au carnage. Si nous payons, eh bien il va falloir que nous construisions ensemble le communisme. Et il est à parier que les experts en économie et en politique vont faire bientôt d’immenses progrès en humilité et en jardinage.[/access]

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Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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