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Je n’étais pas fait pour la boxe


Je n’étais pas fait pour la boxe
Image d'illustration / Pixabay

Le billet du vaurien


Mon père qui était plutôt un intellectuel, avait pour ami Georges Baumgartner, un ancien champion suisse de boxe. Il lui avait demandé de m’entraîner avec l’arrière-pensée que si l’homme n’est pas fait pour la boxe, la boxe est faite pour l’homme. J’avais douze ans et il était temps que je me prépare à monter sur le ring. La vie, après tout, consiste à donner des coups et à en recevoir. Aussi tous les samedis après-midi, j’allais m’entraîner dans la salle de sport du Petit-Chêne où Georges Baumgartner nous préparait au grand combat de l’existence dont je pressentais déjà que nous sortirions tous vaincus. J’amusais beaucoup mon coach en récitant sur un air de rumba les catilinaires de Cicéron en latin. Il se doutait bien que ma carrière de boxeur s’arrêterait vite, mais par sympathie pour mon père, il m’avait pris sous sa protection.

Vint le jour où il fallut monter sur le ring. Je me répétais : tu n’as aucune chance, mais tente de la saisir quand même. En pure perte. Au deuxième round, je fus mis K.O., l’arcade sourcilière en sang et bien décidé à faire du latin plutôt que de la boxe. J’avais également une passion que je partageais avec mon père pour le football, mais là non plus, même comme junior au Lausanne-Sport, je ne brillais pas. Il fallait se rendre à l’évidence : je ne serais jamais ni Mike Tyson, ni une des gloires du football helvétique.

En revanche, j’aimais écouter mon père quand il me racontait la mort d’Al Brown, champion du monde des poids coq que Jean Cocteau avait pris sous sa protection et qu’il considérait tout à la fois comme un mime, un poète et un sorcier. Cocteau aimait cette « poésie active, à la syntaxe mystérieuse » qu’est la boxe. Quand Al Brown mourut le 11 avril 1951 (j’avais dix ans) dans l’oubli le plus total, alcoolique et toxicomane, son cercueil, fixé sur le toit d’une camionnette, sillonna pendant deux nuits les rues de Harlem. Ce fut sa manière à lui de prendre congé de la boxe, de la poésie et de New-York. C’est une histoire qui est restée gravée dans mémoire. À défaut d’avoir été Al Brown ou Mike Tyson, j’aurai lutté avec les mots. Là aussi, en pure perte.



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