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Jacques Maisonneuve dans ses œuvres


Casanova à la BNF, ce n’est que justice. Dans ses mémoires, Histoire de ma vie[1. La meilleure édition à ce jour d’Histoire de ma vie, dont la BNF a acquis le manuscrit en 2010, est celle en trois volumes de la collection Bouquins chez Robert Laffont, préfacée par Francis Lacassin.], on voit qu’il aime la langue française au point de s’excuser d’employer le mot « pessimisme » qui était encore, à son heureuse époque, un néologisme. La langue française lui a bien rendu cet amour, à lui qui traversa le XVIIIème siècle avec une souveraine liberté, en promeneur pressé et enchanté. Elle lui a notamment permis de résumer son existence dans un syllogisme beau comme une devise : « Si le plaisir existe, et si on ne peut en jouir qu’en vie, la vie est donc un bonheur. »

Le français de Casanova est aussi idéal pour formaliser ses nombreuses méthodes de séduction, comme celle-ci, qui semble toujours imparable : « J’ai su de bonne heure qu’une fille se laisse difficilement séduire, faute de courage ; tandis que lorsqu’elle est avec une amie, elle se rend avec assez de facilité ; les faiblesses de l’une causent la perte de l’autre. »

Heidegger disait que l’homme est l’être des lointains et c’est bien le cas de Casanova qui a vécu sa vie sur le mode d’un projet constant, d’un refus réitéré de s’enfermer dans un rôle ou une charge quelconque. Libertin, joueur, probablement tricheur, affairiste baroque aux combines où la poésie le dispute au cynisme, il brûle des fortunes, court de capitale en capitale, vit dans l’intimité des puissants et des voyous, passe des antichambres des palais aux chambres des auberges borgnes. Casanova, selon la magnifique définition qu’a donné de lui Francis Lacassin est bel et bien « le Saint-Simon des gens qui ne roulent pas en carrosse. »

Sa belle figure d’évadé, autoproclamé « chevalier de Seingalt », qui réussit en 1756 à s’échapper des Plombs, cette célèbre prison où le Doge de Venise enfermait les mauvais esprits pour une durée indéterminée, est pleinement de notre temps. Il veut et il va tout connaître de son époque, tout côtoyer et choisir comme unique carburant le désir ou mieux encore le désir du désir. Ses fréquentations, aujourd’hui, il faudrait les chercher à parts égales dans le Who’s who, les fichiers de la DCRI et ceux de la brigade des mœurs. Il est l’homme de la dépense pure, de la danse, du sexe heureux et de l’instant. Pour lui la mort est une hypothèse de travail, rien de plus.

Des déserteurs sur une route d’Allemagne cherchent à lui faire un mauvais sort, les balles sifflent à ses oreilles ? Qu’importe, puisqu’il y aura le soir même une de ces fêtes galantes où l’on va manger trois cents huitres et vider vingt bouteilles de champagne. C’est un homme, en fait, tel que l’aurait rêvé Nietzche : tout ce qui ne le tue pas le rend plus fort.

Ses dernières années, alors qu’il n’est plus qu’un dinosaure discrédité, un mythe vivant et suspect, il les passera comme bibliothécaire, sous la protection d’un grand seigneur. On estime ainsi que le début de la rédaction d’Histoire de ma vie date de 1789 comme si Casanova avait compris que son existence allait s’achever en même temps que le monde qui l’avait rendue possible. Casanova, c’est la littérature considérée comme refus du mot fin, comme éternel retour des corps, du temps et du plaisir. Son contemporain anglais, le romancier Laurence Sterne, l’avait bien dit : « Souvenons-nous, nous vivrons deux fois. »

Bibliothèque nationale de France, Casanova, la passion de la liberté, jusqu’au 19 février 2012.



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