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Innocents, forcément innocents


Innocents, forcément innocents

Selon les premiers éléments de l’enquête, les supporters de Lille tués samedi dernier par un RER près du Stade de France ont emprunté une porte donnant sur les voies qui aurait dû être fermée. On ignore encore si le portillon a été forcé par le groupe de marcheurs ou s’il était ouvert avant leur arrivée, ce qui pourrait indiquer une négligence de la part de la SNCF. Il est clair en tout cas que l’affaire suscite, en plus de l’effroi, une certaine gêne.

À qui la faute ? Comme toujours, la question est immédiatement venue sur le tapis. Incriminer des victimes qui viennent de connaître un si funeste sort, ne serait-ce pas ajouter l’ignominie au drame ? Poser la question de la responsabilité des adultes de ce petit groupe serait insupportable. En France, une loi implicite édicte que les victimes sont toujours innocentes – il est vrai aussi que le christianisme naît de l’innocence de la victime. Une victime peut donc faire tout et n’importe quoi comme par exemple, emprunter nuitamment un pont de voie ferrée dangereux à l’œil nu même si aucune pancarte ne l’indique. Car quand bien même ce maudit portillon aurait été ouvert ? Les lieux ressemblaient-ils de près ou de loin à un passage piéton ? Est-il déraisonnable d’attendre des citoyens un minimum de réflexion ?

Evidemment, ça n’a pas loupé. Très vite après que le drame a été connu, la suspicion s’est mise à tournoyer pour se concentrer très vite sur « le pouvoir » ici représenté par une entreprise nationale. Il fallait des responsables, des « questions auxquelles l’enquête permettra de répondre », des « toute la lumière sera faite sur les responsabilités ». S’ils avaient pu s’en prendre d’emblée à la « politique de compression budgétaire qui met en danger la vie des passagers », il se serait sans doute trouvé des syndicalistes pour entonner cet air-là. Mais les victimes ne pouvaient pas être responsables. À vrai dire, on n’a pas forcément envie, en l’espèce, de s’étendre sur leurs fautes, mais que l’on nous épargne aussi les habituels couplets accusatoires.

Au-delà de cas précis, cette irresponsabilité généralisée conjuguée à une mise en accusation automatique du « pouvoir » oblige celui-ci à éliminer (ou à faire semblant d’essayer d’éliminer) tous les risques, réels ou fictifs, présents et futurs. D’où la constitutionnalisation du principe de précaution, lequel a d’ailleurs été conçu dans le seul but d’étayer accusations et plaintes futures. Cette logique de fool proof (résistant à la stupidité) est difficile à appliquer – la stupidité humaine ayant une imagination infinie – mais aussi contreproductive, car elle conduit l’Etat et les collectivités locales à investir dans une hyper-sécurisation systématique les fonds qui seraient mieux utilisés ailleurs.

Mais surtout cet état d’esprit contribue à l’infantilisation croissante de la société. Laquelle réclame à cor et à cri des lois encadrant sa liberté pour hurler ensuite à la répression. Résultat, on finit par avoir l’impression de vivre dans un appartement où des parents vigilants ont tout fait pour empêcher leurs mioches de s’électrocuter, de tomber dans l’escalier ou de se crever l’œil avec des ciseaux.

Ceux qui veulent être traités en adultes doivent assumer certaines responsabilités. Même s’il n’est pas impossible, dans certaines circonstances bien délimitées, de suspendre un hamac sur une ligne haute tension, ce n’est pas forcément une bonne idée pour vos prochaines vacances d’été. C’est même très stupide, mais moins stupide que d’aller, si vous vous électrocutez, porter plainte contre EDF.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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