Qui c’est? C’est l’huissier!


Qui c’est? C’est l’huissier!

huissiers vautours

La dernière fois que je suis allé au tribunal pour avoir conduit et reconduit sans permis, ou plutôt sans points sur mon permis, j’en suis sorti avec le sentiment de m’en être bien tiré. J’entends encore le juge m’annoncer, derrière ses lunettes cerclées de rose : « Puisqu’il semble que les amendes ne vous touchent pas, je vous colle quatre mois de prison avec sursis. Et la prochaine fois, c’est comparution immédiate et nuit à Fleury. »

Je me souviens m’être demandé s’il ne devenait pas nécessaire de légiférer sur le port ostensible de signes d’appartenance à une minorité sexuelle au sein de la magistrature, où l’impartialité devrait être garantie jusque dans les apparences car il me semblait que, pour mon juge, la déontologie ne suffisait pas. Et la robe non plus. Après tout, qui peut me garantir que mes manières d’hétérosexuel décomplexé n’ont pas joué en ma défaveur ? [access capability= »lire_inedits »]

Je me souviens aussi que, malgré l’apparente sévérité de la sentence, j’étais sorti soulagé. Je redoutais une amende. Celles que je paye me restent en travers de la gorge et celles que je ne paye pas me laissent une épine dans le pied. Au bout de quelques mois de rappels et commandements de payer, des lettres d’huissiers aux couleurs, aux caractères et aux propos de plus en plus menaçants affluent dans ma boîte aux lettres et composent une pile qui, depuis le temps, pourrait caler une armoire sacrément bancale. Mais je ne cède pas plus à la menace terroriste qu’aux ordres par courrier, et si je n’aime pas qu’on me prenne mes sous de force, j’aime encore moins les donner de crainte.

Comme je fais le mort, l’huissier mandaté par le Trésor public tente de saisir la somme sur mon compte bancaire car l’endroit où l’argent est le moins à l’abri de ce genre de prédation, c’est la banque. Sur demande, le banquier ouvre ses coffres et livre vos économies au premier rapace assermenté qui passe. Aussi, j’ai pris l’habitude de maintenir mon compte à peine au-dessus de la ligne de flottaison et de l’alimenter au compte-gouttes parce que, si la somme réclamée n’y figure pas, le juriste rapiat se casse le nez et repart bredouille. Cela demande une attention particulière et une gymnastique un peu compliquée, mais on ne résiste pas au système sans certains sacrifices.

Un jour ou l’autre, le voleur de la République finit par cogner à ma porte pour dresser un inventaire de mes meubles, outils et véhicules, qu’il promet de vendre en place publique si je refuse de m’exécuter. Et je refuse. Qu’on ne compte pas sur moi pour ça. D’abord, je suis moins attaché à mes affaires qu’à mon argent. Les vautours à mallette ne convoitent que ce qui rapporte et tout ce qui m’est précieux (mes livres, disques, lettres ou photos) ne l’est que pour moi. Le reste, les meubles et objets monnayables ne sont que liberté déjà prise quand mon compte abrite tant de libertés à prendre. Ensuite, depuis le temps que l’on me promet, je n’ai rien vu venir. On inventorie, on continue le bluff affranchi et recommandé, et on en reste là. Que de la gueule.

Même si je suis rodé à cette pratique de la semi-clandestinité à laquelle tout alter contribuable doit savoir se livrer, l’amende reste un ennui à rallonge dont je me passe volontiers. Voilà pourquoi, à l’annonce du verdict, j’étais ravi d’y avoir échappé pour écoper d’une peine de prison avec sursis. J’allais rouler encore quelques mois sans me faire pincer, repasser mon permis et toute cette histoire serait enterrée. Et quand bien même, si je devais repasser devant le juge, je ne croyais pas à son histoire de comparution immédiate. Après tout, je suis des citoyens qu’on rééduque, pas des délinquants qu’on réprime. Et comme de toutes façons, on ne réprime plus les délinquants, je préférais être placé dans la file des milliers de condamnés à un séjour à l’ombre mais qui restent sous le soleil plutôt qu’être frappé au porte-monnaie comme un mafieux corse. J’avais échappé à une sentence sonnante et trébuchante pour une peine plus qu’hypothétique. Tout allait bien.

Mais la justice n’avait pas dit son dernier mot. Un autre courrier m’apprit qu’un autre juge avait étudié mon cas et que, le délit ne méritant pas une peine de prison, même virtuelle, celle-ci était commuée en amende bien réelle. J’acceptais d’être réprimé pour de faux et j’allais devoir raquer pour de bon. J’ai écrit pour me plaindre sur le thème « Merci pour le laxisme, mais la répression m’allait bien… » mais la décision était sans appel. Évidemment, pour que ma protestation soit prise au sérieux, je n’ai pas payé. Et la ronde des papiers roses et bleus a repris quelques mois, jusqu’à la visite d’un huissier, courtois et même sympathique, accompagné de quatre ou cinq types plus renfrognés. Inventaire, au revoir Monsieur et pluie d’avertissements, de commandements et de menaces dans la boîte aux lettres. J’entrai en résistance, cachai ma guitare quelque temps et laissai le reste, déjà listé maintes fois par d’autres spolieurs mais toujours là, en pâture pour ce spolieur-là.

Au bout de longs mois, je commençais à croire en ma victoire dans cette guerre des nerfs où le grand bluff semblait s’être dégonflé devant mon inertie, mais le fâcheux revint avec son gang en mon absence, et dressa une nouvelle liste qui comptait les affaires de ma fille, bien rangées dans sa chambre. Cette fois, si je ne payais pas, si je ne cédais pas, on viendrait arracher à mon enfant quelques années de cadeaux d’anniversaire. Dans la savane, quand une meute de hyènes dépèce un petit gnou sous les yeux de sa mère, les fauves ont l’excuse d’être des animaux. L’huissier, dans sa grande perversité, avait trouvé mon point faible. Cent fois je faillis faillir, et cent fois je retrouvai le sens du combat en revoyant cette scène de western où, après une attaque de la banque, le shérif tente de recruter des adjoints pour poursuivre les bandits et se tourne vers un type qui lui dit : « Tu sais ce que c’est, Joe, j’ai une femme et des gosses… » − « Je sais, Franck, rentre chez toi. » Vers l’âge de 10 ans, je jurai de ne jamais être un Franck, celui que la paternité privait de bagarre. Mais je ne veux pas qu’on dépèce mon gnou.

À présent, je suis déchiré, en pleine tragédie, tenaillé par le conflit des devoirs, tantôt acharné à résister aux injonctions timbrées, tantôt sur le point de me rendre, par chèque ou par carte bleue. J’en ai parlé à ma mère qui m’a dit : « Tu as eu 50 ans, c’est pas un peu fini ces conneries ? Paye ton amende et arrête de faire tout ce foin ! Qu’est-ce que ça veut dire ? » Il y a du vrai. Mais cela dure depuis trente ans et il me reste environ trente ans à vivre, je ne peux pas plier maintenant. J’ai quand même plus de fierté que de bibelots. Quant à ma fille, si cette mésaventure lui apprend qu’on ne doit jamais laisser personne vous tenir par les choses, elle n’aura pas tout perdu. [/access]

Image : Soleil

Mai 2014 #13

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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