Accueil Politique Henri Guaino : « Les médias ont choisi leur candidat »

Henri Guaino : « Les médias ont choisi leur candidat »


Photo : Pierre Metivier

Marc Cohen : Depuis 48 heures, vous êtes vent debout contre tous ceux qui critiquent les mesures proposées par Nicolas Sarkozy dans Le Figaro Magazine. On n’est tout de même pas obligé d’être d’accord avec le Président, si ?

Henri Guaino. Mais pas d’accord avec quoi ? Avec les propositions faites dans un entretien critiqué avant même sa parution, avant que qui que ce soit ait pu en prendre connaissance ? Une telle avalanche de caricatures, de contresens et de mensonges qui n’ont rien à voir avec le texte lui-même, oui ça me scandalise, surtout de la part des journalistes !

Prétendez-vous que la presse ou la gauche ont fantasmé le fait que le Président avait associé les mots « référendum » et « chômage » ?

C’est une blague ? Il a dit « chômage » et « référendum » et à partir de là vous écrivez un roman et vous critiquez votre propre roman ! Vous trouvez ça satisfaisant ? Votre question, comme tous les commentaires, laisse entendre que le Président de la République projetterait d’organiser un référendum pour demander aux Français s’ils sont pour ou contre les chômeurs : c’est n’importe quoi ! Envisager la possibilité de consulter le peuple sur la formation des chômeurs, ce n’est tout de même pas pareil que de désigner ceux-ci à la vindicte populaire en instrumentalisant le référendum. Vous savez très bien que pour certains chômeurs, le problème majeur est celui de la formation. Vouloir donner une formation qualifiante à ceux qui n’ont pas de perspectives sérieuses de retrouver un emploi, les aider à se reconstruire, à retrouver une place dans l’économie et dans la société, au lieu de les accompagner passivement vers l’exclusion, cela a-t-il quelque chose à voir avec une stigmatisation des chômeurs ? Il faut une mauvaise foi abyssale pour interpréter ainsi les propositions de Nicolas Sarkozy. Mais force est de constater que ça devient une habitude…

Etes-vous en train de suggérer que le Président est victime d’un complot médiatique ?

Je ne suis pas un adepte de la théorie du complot ! Mais je constate que les médias ont choisi leur candidat sans états d’âme et que l’information est biaisée. Si les commentaires sont libres, les faits au moins devraient être sacrés. Ce n’est pas le cas.

Si je vous suis, alors que Nicolas Sarkozy a été soupçonné de vouloir mettre au pas les médias, il est en fait victime d’une hostilité générale de ceux-ci, y compris dans l’audiovisuel public. Peut-être reconnaîtrez-vous, en ce cas, que le changement de la procédure de désignation des présidents de Radio France et de France Télévisions n’était pas une idée très brillante ?

Elle n’avait pas du tout pour but de verrouiller les médias. En tout cas, ceux qui le craignaient peuvent être rassurés : jamais aucun Président n’a été autant traîné dans la boue et accablé de mensonges. C’est peut-être la preuve d’une grande indépendance des médias par rapport au pouvoir, pas forcément celle de leur indépendance d’esprit…

Revenons au chômage. Est-il légitime de consulter les électeurs qui n’ont pas encore ou jamais travaillé, ou même les fonctionnaires ? Après tout, cette question relève des salariés et des employeurs du privé qui sont d’ailleurs responsables de la gestion de l’UNEDIC….

Cela s’appelle la démocratie : dès lors que le budget de l’Etat est mis à contribution pour équilibrer l’assurance-chômage et que les cotisations sont obligatoires, cela regarde tout le monde. Et ce n’est pas seulement une question de financement : le chômage n’est pas seulement l’affaire des chômeurs ou des salariés, mais un problème de société, et la définition des choix de société regarde tous les Français. L’assurance-chômage, l’assurance-maladie, la branche famille concernent tous les Français parce qu’elles sont au cœur de notre pacte social, donc de notre façon de vivre ensemble.

On l’aura compris, vous ne souscrivez pas à la thèse, largement acceptée, du « virage à droite » de Nicolas Sarkozy. Mais alors, comment faut-il lire cet entretien au Figaro Magazine, comme l’amorce d’un retour au peuple ?

La parole donnée au peuple, c’est la République ! On doit user du référendum avec discernement, mais nous avons accumulé tant de blocages, il y a tant de corps intermédiaires qui font écran entre le peuple et le pouvoir, qu’il est nécessaire de pouvoir donner la parole au peuple. Face à l’épreuve des faits, aux lourdeurs de la société, du système politique et du système juridique, la pensée du Président a évolué sur ce point. Et le républicain que je suis ne peut que s’en réjouir.

Que répondez-vous à François Bayrou qui voit surtout dans cette évolution un grave déficit d’humanisme ?

Quand j’aurai besoin de leçons d’humanisme, je n’irai pas les demander à Monsieur Bayrou. Je me sens au moins aussi humaniste que lui. Si je suis là où je suis depuis cinq ans, c’est parce que mon humanisme, qui vaut bien le sien, ne s’est jamais trouvé pris en porte-à-faux.

Parler au peuple, c’est très bien mais un peu vague. Le Président doit-il, à votre avis, s’adresser plus directement aux classes populaires ?

Oui, mais aussi aux classes moyennes et à tous les Français ! Pourquoi faire des distinguos ? Cette approche est en contradiction avec mon idée de la nation. Moi, je connais la France, je connais les Français, je ne connais pas les classes, pas plus d’ailleurs que les communautés, les bandes et les tribus. Voilà mon opinion ! Du reste, je n’ai jamais aimé cette notion de classe, dont il est extraordinairement difficile de définir les contours. Où s’arrêtent les classes populaires, où commencent les classes moyennes ? La réalité sociologique d’une classe, c’est la conscience qu’elle a d’exister en tant que telle. Sans conscience de classe, pas de classe !

Ce n’est pas un vieux marxiste comme moi qui vous contredira sur ce dernier point…
Cherchez la conscience de classe, vous ne la trouverez pas. Cherchez le sentiment national et vous le trouverez. Les Français, dans leur très grande majorité, ont conscience d’appartenir à une nation.

Eh bien parlons de nation ! Dans Le Figaro Magazine, le Président n’évoque pas l’éventuelle contribution d’Angela Merkel à la campagne électorale. Est-ce parce que mes excellents confrères, Alexis Brézet et Carl Meeus, n’ont pas jugé pertinent de lui en parler, ou parce que Nicolas Sarkozy, vous a entendu et pense maintenant qu’un meeting commun n’est pas une si bonne idée que ça ?

D’abord, personne n’a lancé d’invitation à Madame Merkel. Ce projet de meeting n’a jamais existé. L’intervention conjointe de la Chancelière et du Président sur France 2 faisait suite à un Conseil des ministres franco-allemand, comme il s’en tient deux fois par an depuis la signature en 1963 du traité de l’Elysée signé par le Général de Gaulle et Konrad Adenauer. Ils étaient là en tant que chefs d’Etat et de gouvernement de nos deux pays, pas en chefs de parti. Pour le reste, vous connaissez ma position : l’élection présidentielle, c’est l’affaire du peuple français tout comme les élections législatives en Allemagne sont l’affaire du peuple allemand.

Marianne a publié un article sur la « Gauche Populaire », groupe d’experts comme Laurent Bouvet, Christophe Guilluy et Gaël Brustier, qui récusent le corpus postmoderne de Terra Nova et préconisent « une ligne politique claire : le commun plutôt que les identités, le social avant le sociétal, l’émancipation collective plus que l’extension infinie des droits individuels. » Ils sont, selon Marianne, « les Guaino de Hollande ». Avez-vous lu cet article ?

Oui, j’ai lu cet article. Et ce que j’y ai lu, en tout cas, me rend leur combat plutôt sympathique. J’ai toujours pensé qu’il y avait une gauche républicaine avec laquelle, d’ailleurs, je me suis toujours très bien entendu. Si cette gauche républicaine peut grignoter petit à petit les positions de la gauche dominante, qui croit à la démocratie mais pas aux valeurs de la République, je n’y vois, en tant que républicain, que des avantages. Mais enfin, je pense qu’avec monsieur Hollande, ils ne sont pas au bout de leurs peines…

Pour finir, une inévitable question de journaliste : c’est pour cette semaine ?

Aller devant les Français pour leur dire si l’on a décidé ou non de se présenter à l’élection présidentielle, c’est une question très personnelle. C’est un choix très lourd dans la vie d’un homme. Je crois qu’il faut respecter le cheminement intérieur qui y conduit et c’est bien ce que j’ai l’intention de faire. Donc le moment où le Président de République choisira d’aller dire aux Français ce qu’il a décidé et pourquoi, je le lui laisse : ce sera forcément le bon moment.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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