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Habillez-vous pour le divers !


Habillez-vous pour le divers !

L’égalité, c’est pour tout le monde : au départ du ridicule charivari sur la diversité dont le prétexte est, cette fois-ci, l’entrée en fonction de Barack Obama, il y a un principe incontestable et même tautologique. En régime méritocratique, la couleur de la peau ne devrait jamais être un handicap. Mais on a aussi le droit de penser que l’ériger en avantage acquis, en accélérateur social, ce n’est pas en finir avec la différence « raciale » (saint Zemmour, priez pour moi), c’est au contraire conférer à celle-ci un rôle décisif. Qu’on le veuille ou non, et je suis prête à croire que personne ne le veut, donner une promotion ou un avantage à quelqu’un parce qu’il est noir ou arabe ou juif ou homo ou ce qu’on veut, c’est le refuser à un autre parce qu’il ne l’est pas.

On vient d’échapper à la constitutionnalisation du principe, mais il suffit d’entendre journalistes, sociologues et politiques ânonner avec application ou enthousiasme le nouveau credo pour comprendre que la diversité est bien plantée au cœur de la doxa, qu’elle fait durablement partie des promesses qu’on ne peut pas refuser – une idée bien sous tous rapports. Je m’étonne qu’il n’y ait pas encore de collectif pour le remplacement de « fraternité » par « diversité » dans la devise nationale. Fraternité, ça vous a un air vaguement blanc, un peu trop pâle comme on dit maintenant, un peu trop conforme, tandis que diversité, ça sent sa pub Benetton et son arc-en-ciel. Sous le règne de la diversité, il n’y a plus ni frères ni sœurs, ni ici ni ailleurs : comme dirait l’autre, nous sommes tous des autres. Il faudrait alors expliquer pourquoi, du même coup, chacun est sommé de déclarer s’il est juif ou grec.

Quelque chose dans la façon dont la mayonnaise diverse est montée devrait inciter à un peu de circonspection. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais dès que le mot « diversité » est prononcé, l’humour, la critique et même la logique sont proscrits. Sinon, comment la radio publique française pourrait-elle convier ses auditeurs à une journée 100 % diversité – tous différents, vous voyez le problème ? Comment une sondeuse ou une sociologue invitée sur France Inter pourrait-elle, sans rigoler, qualifier de « médias de la diversité » les médias communautaires ? À y réfléchir – et même sans trop réfléchir –, cela signifie qu’un média de la diversité est un média qui s’adresse à des gens qui ont tous la même origine culturelle, ou la même religion, ou la même sexualité. On pourrait discuter, polémiquer, rigoler au moins. Rien. Pas un son de cloche qui cloche – ou si peu, une chronique hilarante de Stéphane Guillon sur France Inter par-ci, quelques articles grinçants ça et là, sur Internet essentiellement puisque c’est là parait-il que se réfugie le mauvais esprit. On guette, on tente de surprendre une pincée d’ironie, un zeste de distance dans le regard ou la voix d’un journaliste, mais non, tout le monde prend cette affaire très au sérieux.

Le taux de diversité est un argument marketing au même titre que la teneur écolo : chez moi, c’est plus vert et plus divers qu’à côté. On évalue le nombre et la qualité des divers-droite (plutôt femmes, il y en a qui trichent en se qualifiant pour deux non-quotas) et des divers-gauche. On sonde les reins et les cœurs des électeurs : êtes-vous prêt à élire un président noir ? Quoi, oui ? Vous croyez qu’on n’a pas entendu causer de l’effet Bradley dans les rédactions parisiennes ? Verdict : les Français ne sont pas prêts. D’ailleurs, puisque les bornes étant passées il n’y a plus de limites, je vous informe que la France est en train de devenir un pays d’apartheid. C’est un ministre de la République ou quelque chose d’approchant qui le dit, Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Interrogé par « Questions d’info » (LCP-France Info-AFP), ce « grand entrepreneur, nommé à son poste par Nicolas Sarkozy à la mi-décembre », estime qu’aujourd’hui : « On est en train de creuser un sillon qui nous conduit tout droit à l’apartheid : territorial, dans les têtes, social. » C’est tout ? Pas au nazisme ? Il serait pas un peu mou du genou le nouveau commissaire à la pensée juste ?

C’est à celui qui sera le plus divers-friendly. On proclame avec des accents profonds que jamais on ne comptera (ça nous rappellerait les heures les plus sombres de notre histoire, je veux parler du fichier Edvige de sinistre mémoire), on jure que jamais on n’instaurera de quotas et on déroule à longueur de pages et d’antennes de vraies-fausses statistiques ethniques qui révèlent la triste vérité : l’insupportable retard français. Oui, chers lecteurs et concitoyens, nous sommes à la traine. Combien de divers dans l’entreprise ? Dans le cinéma ? Dans la politique ? Dans les conseils municipaux ? Dans les fanfares municipales ? Dans les associations de consommateurs ? Au barreau ? Et surtout, le plus important parce que, parait-il, cela détermine tout le reste (quel aveu !) – combien de divers dans les médias ?

Comme nous n’avons pas fini d’en prendre et que les dingues de la Halde sont en liberté, il n’est pas inutile d’essayer de savoir ce qui se mitonne dans cette marmite. C’est que la diversité est sans doute l’une des plus belles tartufferies langagières (donc idéologiques) de ces dernières années. Tout le monde l’a oublié mais jusqu’à ce que ce joli mot de la langue bisounours s’impose, on utilisait la vilaine expression de « minorité visible « . Les plus ardents défenseurs de cette alléchante catégorie ont fini par sentir le danger et par la planquer sous le tapis. Des fois qu’on aurait compris que ce dont il est question, c’est de remplacer le contrôle au faciès par l’avantage au faciès. Il est vrai que c’est un progrès. Reste que ce genre de cercle vertueux est réversible en cycle vachement vicieux.

Donc, « minorité visible », c’était si j’ose dire, trop clair. On voit ce dont on cause : ceux qui, sous nos latitudes, se signalent par un teint plus ou moins basané, Arabes et noirs ici, Pakis et Asiatiques là. Le concept de diversité permet de noyer ce poisson aux relents un peu trop racialistes. Pour célébrer son D Day, lundi dernier, Radio France conviait donc « black blanc beur, femme salarié, chômeur, provincial, parisien, agriculteur » à se diversifier tous ensemble. Alors, vous pensez si le débat a fait rage entre amateurs de la diversité tout court et défenseurs d’une diversité ouverte, entre discrimineurs positifs et affirmativactionistes. Radio France peut être fière de ses résultats : je n’ai pas fait le compte mais je suis certaine qu’un des pontes de la maison ronde pourra annoncer fièrement que, ce 19 janvier, 98,4 % des invités de la radio publique étaient… divers. Saluons l’audace consistant à confier, le temps d’une journée, les manettes de certaines émissions à des « visibles » – en matière de radio, c’est un concept innovant. Pour Jean-Paul Cluzel, le PDG de Radio France, il s’agit d’une « difficulté spécifique » que la radio doit surmonter. « Qui savait, quand il était encore un de nos plus brillants journalistes de France Info, qu’Harry Roselmack était noir », s’interroge-t-il dans Le Monde ? Mais justement, tout le monde s’en fichait de la couleur de peau d’Harry Roselmack, et c’était très bien comme ça ! Aujourd’hui, on se fiche de sa personne et de sa personnalité, seule compte son appartenance. Tout individu est susceptible d’être bombardé représentant d’un groupe. C’est ainsi qu’un bon écrivain français, Alain Mabanckou, a été bombardé rédac’chef d’un jour (« Tout arrive » sur France Culture) parce qu’il est noir. Même la programmation musicale était diverse – « et vous me passez de la musique black, hein ? ».

De fait, tous les chichis et pompons éthiques que l’on agite pour combattre ou défendre les statistiques ethniques, tous les euphémismes dont on se sert pour recouvrir la vérité n’y changent rien : il s’agit bien de compter les Arabes et les noirs. D’ailleurs, le brillant entrepreneur Sabeg l’a bien compris puisqu’à la suite de l’Institut Montaigne, le think-tank du patronat éclairé, il se prononce pour que l’on utilise… la photographie. Ce n’est pas une blague. Ben oui, bande de nœuds, pour compter les visibles, le mieux est encore de regarder. « C’est une possibilité intéressante pour traiter la question cruciale des discriminations raciales. J’ai moi-même prôné la photo de famille dans les bilans des entreprises », explique-t-il. En voilà une belle idée toute simple. Encore qu’à l’usage elle ne le sera peut-être pas tant que ça. Faites l’expérience, essayez de recenser les divers-visibles parmi vos amis. Que faites-vous de celui dont la mère est bourguignonne et le père algérien ? Et votre copine née du mariage d’un Antillais et d’une Egyptienne, diverse, pas diverse ? Et si diverse, dans quelle colonne ? Vous me direz que cela n’a aucune importance et qu’on est tous frères. Sauf que si on se met à compter pour de bon, toute cette fraternité aboutira à une guerre au couteau. En Angleterre, la publication trimestrielle des statistiques ethniques officielles donne lieu à une foire d’empoigne entre « communautés discriminées ». Pas assez de… ? Mais c’est encore pire pour… Il y en a toujours pour… d’ailleurs, regardez, combien de… parmi les présentateurs de JT ? Je vous le dis, on n’a pas fini de rigoler.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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