François Fillon ou cinquante nuances de grey


François Fillon ou cinquante nuances de grey
(Photo : SIPA.00734331_000024)
(Photo : SIPA.00734331_000024)

Cinquante nuances de grey. C’est la vue dont on est gratifié, placé derrière les trois cents personnes assistant au meeting de François Fillon dans la cité natale de Louis Pasteur[1. Et de votre serviteur, mais c’est un détail moins important]. Les cheveux gris dominaient déjà à Vesoul lors du lancement de campagne de Bruno Le Maire. A Dole, en ce vendredi soir, tout ce qui compte dans le troisième âge local semble s’être donné rendez-vous dans le magnifique Manège de Brack qui tient lieu de salle des fêtes.

Cela ne doit rien au hasard. L’ancien Premier ministre a un discours qui plaît aux retraités : sa passion pour l’ordo-libéralisme, sa défense du modèle allemand, citant Gerhard Schröder comme modèle, mais pas Angela Merkel qui n’a plus la cote dans la droite française en raison de sa politique migratoire. Parmi ses modèles, il cite aussi Margaret Thatcher, mais pour son libéralisme économique, jamais pour son souverainisme. Serais-je injuste ? Après tout, il le rappelle lui-même à Dole, François Fillon a combattu l’instauration de la monnaie unique européenne en 1992 derrière Philippe Séguin, mais il ajoute que ce n’est pas le principe de cette monnaie qui le hérissait, mais le fait qu’on mette « la charrue avant les bœufs », regrettant qu’on n’ait pas préféré réaliser l’harmonisation fiscale et sociale préalablement.

François Fillon a cédé à la nouvelle mode : il dédaigne le pupitre derrière lequel le sénateur Gilbert Barbier et le député-maire Jean-Marie Sermier, fillonistes revendiqués, l’ont précédé avec des mots accueillants. Il se tient debout sur la scène micro en main. Il évoque les deux millions de jeunes sortis du système scolaire sans qualification ni emploi, « dans la rue ». On aimerait entendre une autocritique sur la fameuse loi d’orientation sur l’école votée il y a une dizaine d’années lorsqu’il était lui-même ministre de l’Education nationale, cette loi qui parachevait et amplifiait même celle de 1989 de Lionel Jospin, pilier du pédagogisme. L’autocritique ne viendra pas. L’autorité dans les classes, dont il appelle le rétablissement ravissant l’assistance, aurait-elle été davantage préservée si Jospin n’avait pas écouté Philippe Meirieu, et si Fillon n’avait pas écouté Claude Thelot ? Rien n’est moins sûr.

Le syndrome « Reine des neiges »

En matière économique, l’ancien Premier ministre réclame « un choc ». Entre le 1er juillet et le 31 octobre 2017, le président Fillon supprimerait la durée légale du travail et réformerait le code du travail. Ce dernier le serait sur les mêmes bases que le projet El Khomri mais, précise-t-il, le nouveau gouvernement aurait quant à lui la majorité et la légitimité pour le faire. Là encore, rien ne le distingue vraiment de ses concurrents Le MaireNKM, Juppé ou Sarkozy. Tous ces candidats sont atteints du syndrome Reine des neiges (« Libérez ! Délivrez ! »). Il faut déréglementer, libérer les entrepreneurs des normes envahissantes, les délivrer des impôts et des charges. Selon François Fillon, « on a trop voulu protéger les Français depuis des décennies ». Propos qui semble emporter l’adhésion de cette assistance-là. Qu’en serait-il devant une assemblée de paysans, d’ouvriers, ou de caissières à Carrefour ? Sans le citer, Fillon fait aussi un sort au principe de précaution, et en appelle aux mânes de Louis Pasteur qui, selon lui, n’aurait jamais pu faire ses découvertes dans notre nouvel environnement juridique. On pourrait lui rétorquer que le célèbre chimiste constitue au contraire le symbole de la science précautionneuse : la stérilisation des instruments de chirurgie, le simple fait de se laver les mains avant d’effectuer un acte médical, c’est l’influence de Pasteur.

Dans le domaine international, François Fillon s’est longtemps démarqué mais il est peu à peu rejoint par ses concurrents. Il critique vertement l’attitude européenne face à la Russie, condamne les sanctions économiques dont cette dernière a été l’objet, entraînant en retour des réponses ayant des conséquences graves sur notre agriculture, notamment. Il se fait aussi pourfendeur des Etats-Unis d’Amérique, coupables de profiter de la position du dollar pour empêcher ses concurrents de se développer et sanctionner injustement des entreprises européennes.

Distancé au moins par deux de ses concurrents dans les enquêtes, François Fillon peut-il devenir le prochain président de la République ? C’est possible mais c’est improbable. Tout dépend en fait du maintien ou non de Nicolas Sarkozy dans la course. Si l’ancien président devait jeter l’éponge, le choc thatchérien proposé par Fillon pourrait séduire une partie de l’électorat qui ira aux urnes le 20 novembre prochain, notamment dans les quarante-huit bureaux de vote annoncés dans le Jura. Nous avons souvent expliqué que le succès actuel d’Alain Juppé tenait essentiellement à ce qu’il constituait un barrage au retour de Nicolas Sarkozy pour une partie majoritaire du vivier électoral appelé à voter à la primaire. Cette hypothèse tient toujours. François Fillon, qui n’a eu aucun mot pour ses concurrents, espère sans doute en silence que celui qui l’a tant fait souffrir pendant cinq ans se consacre à ses rémunératrices conférences à travers le monde.



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