Nous ne sommes pas loin de la rupture


Nous ne sommes pas loin de la rupture

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On sait au moins que, sur le plan  de l’organisation territoriale, Hollande a fait un pas vers Merkel puisque le projet de réforme territoriale divise la France en grandes régions semblables aux Länder allemands. Faut-il, selon vous, donner plus de consistance et de poids politique aux régions ?

La réalité historique de la France est très différente de la réalité historique de l’Allemagne. La réalité de l’Allemagne est fédérale, les régions en sont la base. L’identité de la France au contraire passe d’abord par son unité. C’est vrai aussi dans l’univers médiatique. Le journal fédérateur, c’est le 20 heures des grandes chaînes nationales. Je suis un républicain qui aime l’idée d’unité d’un peuple, d’une nation, de son histoire, de son identité. Je considère la division entretenue au sein de la communauté nationale comme le pire des poisons. Cette unité se conjugue, spécialement pour moi, avec des cultures et des identités locales assumées, mais la France est une nation qui rassemble et fédère, pas un puzzle de « chacun pour soi » !

Sauf que son unité, justement, est incarnée par l’Etat central. Quand celui-ci manque à ses missions, qu’il perd en légitimité, quand « Paris » n’inspire plus que de la méfiance, qu’advient-il de l’unité républicaine ?

Quand l’État manque à sa mission d’être l’armature du pays, quand il se perd dans les sables mouvants de l’impuissance ou de l’asthénie, la France est mal. C’est donc le moment de reconstruire ce qui doit l’être.

Compte tenu de tout cela, dessinez-nous un Etat, cher François Bayrou.  Entre les régions, les départements, les intercommunalités et les villes, le tout couronné par l’Etat, comment concilier les intérêts de chaque couche du mille-feuille territorial ?[access capability= »lire_inedits »]

Je propose la fusion des départements avec les régions pour créer un échelon compétent en termes d’aménagement du territoire. Laissons à la ville et à l’intercommunalité la responsabilité des problèmes de la vie quotidienne, de l’école primaire, du social, de la culture et de l’économie locale. Et que l’État soit réellement en charge de la sécurité intérieure et extérieure, de la bonne administration du patrimoine national et de la mission de transmission aux enfants d’une culture commune et des moyens de leur autonomie.

Aujourd’hui, comment les collectivités locales travaillent-elles avec Paris, c’est-à-dire l’Etat ?

Ce dialogue est pagailleux, insuffisant, la décentralisation est désordonnée, les centres de décision se chevauchent. C’est dire si, en prenant la question d’une nouvelle carte territoriale par un découpage arbitraire sans réelle logique ni légitimité, on se trompe de méthode. On ajoute de la confusion au lieu d’imposer de la clarté. La question n’est pas celle de la carte des régions, c’est celle de la simplification dans la répartition des compétences.

Au niveau le plus local, en tant que maire de Pau, quelle est votre conception de l’action politique ?

Une ville peut changer les choses de la vie. À cette échelle de proximité, d’échange, on peut trouver des solutions concrètes et rapides. En trois mois à Pau auront changé les rythmes scolaires, le plan de circulation, la propreté, l’organisation de l’administration. Bientôt la vie culturelle rejoindra le meilleur niveau, l’intégration des chercheurs dans la vie de la cité ou la mise en valeur des entrepreneurs deviendront un élément d’identité de la ville. Et tout cela dans le concret et sans retard. Pour moi, l’action politique locale doit être imaginative et exemplaire. Et chacun des citoyens a droit à la parole sur ses questions ou ses difficultés, droit d’être entendu directement par le maire, sans intermédiaire. Chez nous, c’est tous les vendredis soirs.

Et de quoi vous parlent-ils ?

De la propreté, de la sécurité, des SDF, des feux rouges mal placés, des excès de vitesse qui les embêtent, du fait qu’on ne puisse pas dormir la fenêtre ouverte, du niveau des impôts ! Ils parlent de leur vie, et c’est digne. Pour les rendez-vous individuels organisés tous les jours à la mairie, il est plutôt question d’emploi. Tout est dirigé vers l’action, car je veux qu’on sorte de l’idée qu’une élection ne change rien. J’entends bien démontrer au niveau local qu’on peut rapprocher la décision et l’action.

Certes, mais la fiscalité des Palois, ne se décide pas à Pau… La politique éducative non plus…

La fiscalité générale non, mais l’éducation peut-être que oui ! Nous avons décidé d’offrir des études dirigées tous les jours à tous les enfants du primaire. Vous me direz que ce sont de petites choses. Pour moi non. Ce sont des éléments de la vie qui peuvent contribuer à délivrer les citoyens du sentiment de lassitude infinie qu’ont installé des années d’impuissance politique.

Quoi qu’il pense de leurs politiques, le citoyen identifie sa ville et son département. Mais la région existe-t-elle pour le pays réel ?

Pour l’instant, c’est une échelle qui n’existe pas vraiment. Personne ne connaît ses élus régionaux, pas même moi ! Dans ces conditions, ceux-ci n’ont pas de comptes à rendre aux citoyens, ce qui arrange bien les présidents de région. Il faut que cela change. La fusion que je propose entre conseils régionaux et généraux doit permettre de mettre toutes les questions d’aménagement du territoire et de stratégie économique locale entre les mains d’élus identifiés, connus de leurs concitoyens. En même temps, les grands courants d’opinion pourront être associés à la gestion régionale.

À une époque où on ne sait plus très bien ce que c’est que d’être français, est-il si urgent d’expliquer ce qu’est être Palois ou Béarnais ?

Bien sûr ! Vous commettez une énorme erreur philosophique qui conduit à une névrose en voulant à toute force que chacun d’entre nous soit enfermé dans une seule identité. Or la plupart des êtres humains ont en eux plusieurs identités. Ils ont leur citoyenneté nationale, leur identité régionale ou d’origine et ils ont bien le droit de les faire vivre ensemble ! Si vous soutenez que l’identité est forcément exclusive, qu’il faut être l’un ou l’autre, Breton ou Français, mais qu’on ne peut pas être les deux, vous créez des névroses personnelles et des guerres civiles. Comme disait Simone Weil, un des principaux de nos devoirs envers l’être humain, c’est de lui permettre d’assumer sa ou ses identités,

Nul ne nie la pluralité des identités. Mais ce n’est peut-être pas le moment de relativiser l’identité nationale…

Pour un Français, l’identité nationale est plus importante que pour un citoyen du Royaume-Uni ou un Allemand. C’est notre héritage. Et c’est précisément pourquoi notre identité nationale est un lieu d’intégration. J’ai été frappé, pendant la coupe du monde, du nombre de supporteurs algériens d’origine qui le soir de l’échec de leur équipe disaient tous : « maintenant on soutient la France ! » Ce n’est donc pas le moment d’affaiblir notre identité. Mais il faut refuser de l’hystériser, de la crisper. Il faut la prendre par le haut : notre langue, notre culture, notre histoire. Tout cela est facile dès l’instant qu’on est bien dans sa peau de Français et de républicain.

Si l’on en juge par les résultats des européennes, une frange importante d’électeurs souffre d’un manque de considération.  La carte du vote FN donne ainsi l’impression que Paris – comme centre symbolique du pouvoir – et les provinces sont deux mondes qui s’éloignent. Partagez-vous cette intuition ?

Parfaitement. Mettez-vous à la place d’un citoyen de Pau. Qu’est-ce qu’il voit ? Il allume son poste de télévision, il appuie sur la télécommande, il tombe sur BFM, sur i>Télé et c’est toujours la salle des Quatre Colonnes… Il entend des mots totalement décalés par rapport à sa propre vie. Imaginez les agriculteurs de ma région qui, pour la plupart d’entre eux, n’arrivent pas à gagner le SMIC, entendant qu’à la télévision : « Cette année, le revenu des agriculteurs a augmenté de 30% ». Ça les rend fous. Et quand François Hollande annonce que « la courbe de l’emploi se redressera avant la fin de l’année » imaginez ce qu’on pense dans les quartiers où le taux de chômage est à 30 ou 40 %…

Que vous inspire la démarche de Christian Troadec, maire divers gauche de Carhaix qui a soutenu votre candidature en 2007, et conduit le mouvement des Bonnets rouges cette année ?

Je serais content de parler avec lui. Sa démarche est un symptôme ! On est dans une société dont le degré de déstabilisation et de surdité atteint des sommets. Les Bonnets rouges ont le sentiment que leur vie leur échappe. Ils ressentent confusément un besoin d’identité, de pouvoir légitime et efficace. Je ne peux pas les stigmatiser ni refuser de les entendre.

Éprouve-t-on le même sentiment de défiance à Pau ?

L’indignation est générale, même si elle a parfois des moments de calme entre deux pointes : la fièvre n’est pas à 42° tous les jours… Grosso modo, les gens d’ici pensent qu’à Paris, dans les cercles de pouvoir, on se perd dans des jeux sans intérêt et sans considération pour la vie réelle. Un jour, un mouvement se lèvera parce que notre société n’est pas démocratique. Renzi en Italie vient au moins de montrer qu’on peut récréer la confiance. Je ne suis pas sûr que ses solutions soient les bonnes, mais sur le plan symbolique c’est très fort. Alors bien sûr, ça ne va pas rétablir les finances publiques de l’Italie, mais c’est essentiel ! Une vague semblable secouera la France, parce notre peuple ne va pas rester éternellement dans la frustration. Les deux partis seront placés devant leurs insuffisances. Nous ne sommes plus très loin de la rupture ![/access]

Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

*Photo: Hannah

Eté 2014 #15

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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