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Forton, c’est fortiche


Forton, c’est fortiche

jean forton nouvelles

J’aurais bien aimé étudier le droit à Bordeaux au début des années 1970. Déjà, Bordeaux est une belle ville. Ensuite, le droit à l’époque était moins compliqué qu’aujourd’hui, avec les règles européennes et les « rapports de systèmes », comme disent les juristes. Et puis j’aurais acheté mes manuels à la librairie Montaigne, petite boutique spécialisée dans le domaine juridique. Le propriétaire s’appelait Jean Forton ; il avait écrit plusieurs livres, et continuait d’en mijoter dans son arrière-boutique. En me renseignant, j’aurais glané des informations sur lui : entré en littérature à vingt ans avec une revue, La Boîte à clous, Forton avait publié six romans chez Gallimard, dont un (L’épingle du jeu, 1960) avait failli remporter le Goncourt. Mais le manque de soutien des critiques l’avait déçu, au point qu’il avait finalement décidé de ne plus rien publier de son vivant. Ses manuscrits, il les cacherait dans des tiroirs et des cartons, où ils dormiraient longtemps. C’est pourquoi on en a découvert plusieurs depuis sa mort en 1982, et que des inédits resurgissent périodiquement.

Deux éditeurs se chargent en particulier de les publier : le Dilettante, à Paris, et Finitude, à Bordeaux. Au premier, on doit une réédition (Les Sables mouvants, 1997), une publication tardive (L’enfant-roi, 1995, refusé par Gallimard trente ans plus tôt) et un fabuleux inédit, La vraie vie est ailleurs, merveilleux roman sur l’adolescence, l’école buissonnière et la vie en province. Au second, on doit d’autres rééditions (Sainte Famille, 2009) et deux beaux recueils de nouvelles inédites (Pour passer le temps, 2002, et Jours de chaleur, 2003),  art dont on ignorait que Forton l’avait pratiqué. Pour Finitude, Forton fut même une sorte de parrain de baptême, Pour passer le temps étant leur premier livre. Onze ans plus tard, ils offrent une deuxième chance à ceux qui ont raté le coche à l’époque : Pour passer le temps et Jours de chaleur sont maintenant réunis dans un beau volume de 270 pages, avec trois nouvelles inédites. Evidemment, on suppose que ces petits textes étaient surtout des divertissements, des exercices pour se délier la main ou s’aiguiser l’esprit. Mais quels exercices ! Forton était doué pour la nouvelle ; les siennes sont des petits tableaux parfaits, des saynètes qui tendent vers une chute bien nette, avec une dose d’humour noir qu’on ne lui connaissait pas dans ses romans.

Le monde de l’enfance est très présent, avec des narrateurs de dix ans qui écrivent sans gêne ce que les adultes n’avouent pas. Les personnages, petites gens pittoresques, paysans terre-à-terre, sont croqués avec un mélange de tendresse et de cruauté à la Marcel Aymé. Les scènes de couple sont délicieuses : voyez « L’artiste », sur une femme jalouse de son mari qui peint, ou « Pour passer le temps », avec sa dispute inoubliable. « – Une méchanceté pareille, ça ne s’invente pas, dit le vieux. Tu es la véritable salope, Antoinette, la véritable vérole. – Léon, met le couvert. – Au fond tu es restée la vraie paysanne, tu m’arraches le cœur comme tu égorges un poulet, ça te fait jouir tout pareil. » Etc. La brièveté sied à Forton ; il ne perd son lecteur que quand il s’allonge un peu, par exemple dans « Jours de chaleur ». Mais on lui pardonne, parce qu’il y a de la vérité dans chaque page, et beaucoup de phrases très justes dont on voudrait se souvenir. Celle-ci, par exemple, qui pourrait être apprise par les étudiants du barreau, les mêmes à qui Forton vendait des manuels, pour qu’ils améliorent la défense de leurs clients assassins et leur évitent la prison : « Il avait tué sa femme, oui. Mais justement, elle était morte, il ne risquait pas de recommencer. »

Toutes les nouvelles, de Jean Forton, Finitude, 2013.

*Photo : SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA. SUPERSTOCK45280619_000001.



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