FN : On n’a pas fini de décoder


FN : On n’a pas fini de décoder

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Pendant quelques heures, on a cru qu’ils avaient compris. Ou au moins qu’ils voulaient comprendre. Comme si le « choc », que dis-je, le « séisme », la « tornade », le « tsunami », bref comme si cette élection européenne qui a vu le front national arriver en tête avait eu le salutaire effet d’une douche froide sur une gueule de bois. Au soir du scrutin, la plupart des commentateurs semblaient en effet avoir renoncé aux habituels poncifs antifascistes et autres fanfreluches moralisantes qui leur tiennent habituellement lieu d’analyse politique en pareille circonstance. Ils paraissaient même avoir réalisé que, pour contrer Marine Le Pen, il vaudrait mieux cesser de lui laisser le monopole de la France après lui avoir concédé celui du réel.  Cette crise de lucidité aura duré moins que les roses. Dès le lendemain, chacun retrouvait ses bonnes habitudes, à l’instar d’une Cécile Duflot affirmant qu’il s’agissait d’une « tache » sur notre pays – sans préciser comment elle comptait faire disparaître ces électeurs qui, sotte- ment, se croient indélébiles. On ne change pas une politique qui perd : chacun ayant répété que plus rien ne serait comme avant, le président a promis que tout serait exactement pareil.

Il s’est bien gardé de parler à ces malpropres d’électeurs du FN, il a parlé d’eux : ces malheureux ont « peur du déclin de la France et de la mondialisation », on se demande pourquoi. Allez les gars, un petit effort pour être cool, ouverts et modernes. Au début, ça fait mal, mais vous verrez, on s’habitue très vite. Peu importait, dès lors, que l’UMP, fût-ce par électoralisme de bas étage, allait promptement abjurer la religion européiste qui a achevé de transformer en impasse le boulevard que les socialistes se sont employés avec zèle à ouvrir à la droite. Que nenni ! Marine Le Pen a dû sauter de joie en entendant le « sage autoproclamé » Alain Juppé décréter que l’urgence était de recréer « les bases d’un accord entre droite et centre ». En somme, chers électeurs, puisque vous craignez que l’Europe soit une machine à faire disparaître les peuples, on va vous donner encore plus d’Europe – des fois que ça vous passerait l’envie de voter. Ce énième remake du même navet commençait à être lassant quand l’affaire Bygmalion lança une chasse au Copé d’autant plus réjouissante que la meute espérait bien, et espère toujours, se payer un plus gros gibier : mes estimables confrères sont convaincus qu’à force d’ânonner le nom honni de Sarkozy (leur dahu à eux) et de lancer les juges sur toutes les pistes imaginables, ils finiront par l’avoir. Suggérons-leur aimablement d’attendre un peu avant de vendre le scalp si convoité.

Devant le spectacle de tous ces marteaux tapant rageusement sur le même clou, ça m’a vite démangé de prendre la défense de Jean-François Copé. Je vous accorde qu’il ne mérite pas un premier prix de vertu, mais on a du mal à croire que tous ceux qui ont participé de si bon cœur à son lynchage soient aussi irréprochables que cela. Si Copé s’est contenté de pomper dans les caisses de l’UMP pour financer la campagne du candidat de l’UMP, il est coupable d’une infraction pénale, ce qui n’est pas bien. On me permettra de relativiser sa faute morale. Le financement occulte, ou disons, pas totalement dans les clous, ça se pratique dans tous les grands partis. Il n’y a pas des bons et des méchants, il y a ceux qui se font pincer et ceux qui passent au travers. Il est vrai qu’au moment où vous lisez ces lignes, on a peut-être appris que Copé avait découpé sa grand-mère en morceaux, mangé des enfants ou, qui sait, qu’il s’était constitué un petit trésor de guerre en vue de la bataille de 2017, ce qui serait une autre histoire. Reste que si ce présumé innocent est coupable, il n’est pas le seul. Ni dans son camp, ni dans celui d’en face.  En attendant que la vérité surgisse du tourbillon des révélations, j’ai cherché, chers lecteurs, une bonne nouvelle à vous annoncer.

Je commence par la mauvaise : d’après une étude publiée par l’éducation nationale, les enfants qui arrivent en CE2 savent de moins en moins lire. Rien de grave, cependant, car s’ils ont de plus en plus de mal à déchiffrer un texte, « leurs capacités de décodage n’ont pas régressé entre 1997 et 2011 ». Moi, j’adore les enfants- décodeurs. Ce jargon veut sans doute dire qu’ils comprennent vaguement ce dont il est question, même s’ils sont incapables de lire phrase par phrase. En tout cas, la responsable de l’évaluation au ministère, Catherine Moisan, mérite le premier prix de novlangue. « Cette étude ne signifie pas que le niveau baisse, a-t-elle déclaré au Monde. Elle pointe davantage une inquiétude quant à la maîtrise du langage et de la compréhension. Elle montre également une petite régression en orthographe, sur l’accord du groupe nominal notamment. » Langage, compréhension, orthographe : on ne va pas chipoter pour pareilles broutilles. Du reste, à quoi servirait-il de lire quand il y a tant d’écrans devant lesquels on peut tranquillement s’abrutir ? Alors oui, cette honorable fonctionnaire et tous ceux qui, avec elle et au nom d’une pseudo-égalité, conspirent avec zèle à former des générations ignares et inaptes à l’effort, me semblent bien plus criminels que Jean-François Copé. Il est vrai que, grâce à eux, on ne pourra bientôt plus soupçonner aucun chef de parti de piquer dans la caisse, puisqu’ils ne sauront ni lire, ni écrire, ni compter.

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00684786_000003. 

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Causeur 14 - juin 2014   

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Juin 2014 #14

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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