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In Colt we trust


In Colt we trust

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La tuerie de Newton a déclenché le déferlement habituel, sur nos ondes et sur nos écrans, d’experts et autres spécialistes en massacre made in USA. Pourtant, le téléspectateur français ne comprend pas mieux aujourd’hui qu’hier pourquoi une majorité d’Américains tient tant à la liberté de posséder des armes – contestée, il est vrai, par une importante minorité. En effet, dès lors que les statistiques prouvent que l’extraordinaire disponibilité des armes à feu − et notamment des armes de guerre − est un facteur aggravant, facilitant le passage à l’acte et encourageant la violence, l’obsession états-unienne des armes semble aussi bizarre et incompréhensible que les us et les coutumes d’une tribu exotique. Les Américains seraient-ils des barbares qui aiment que l’on tue des enfants ?

À l’évidence, nous avons beau être nourris de leurs séries et singer leur culture populaire, quelque chose d’essentiel dans l’être américain nous échappe complètement. Pour tenter de l’approcher, il faut revenir à l’épisode originel, à la scène fondatrice – le voyage entrepris il y a quatre siècles par des sujets de la couronne d’Angleterre qui entendaient construire une nouvelle société dans le Nouveau monde.[access capability= »lire_inedits »]

Les 102 passagers du Mayflower, ce petit navire qui marque le début de l’épopée états-unienne, ont quitté le port de Plymouth, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre, en septembre 1620, pour arriver deux mois plus tard dans une région qu’ils ont appelée « Nouvelle-Angleterre » et y fonder une ville baptisée… Plymouth. C’est que, s’ils fuyaient une Angleterre concrète où ils étaient victimes des persécutions du roi James, ils restaient fidèles à l’idée de l’Angleterre. Leur rêve, c’était de créer la véritable Angleterre, un pays où les libertés anglaises seraient réellement respectées.

Pour ces Anglais du XVIIe siècle, tout gouvernement, était au mieux un mal nécessaire, qu’il fallait encadrer par un contrat social. Dans l’esprit de leurs descendants, qui rédigèrent la Constitution des États-Unis d’Amérique un siècle et demi plus tard, l’ultime protection du citoyen libre n’était ni une charte de droits (même pas la Grande Charte) ni un contre-pouvoir parlementaire. Seul le citoyen armé et prêt à remettre le pouvoir à sa place était à même de garantir les libertés arrachées aux monarques au fil de l’histoire anglaise – et dont la légende de Robin des Bois donne une certaine idée. Pour ces futurs Américains, ces acquis, connus sous le nom de « droits de l’Anglais » (Englishmen’s rights), s’adressaient à un individu armé, prêt à former une milice de défense avec les membres de sa communauté.  En conséquence, le droit de porter une arme n’est pas seulement une liberté fondamentale comme, par exemple, la liberté d’expression, d’association ou le droit à la propriété privée, mais un « super-droit » qui rend possible et garantit tous les autres. Même s’il adhère au contrat social, le citoyen reste armé et vigilant pour prévenir tout abus.

La NRA (National Rifle Association, qui compte des millions de membres) n’est donc pas, comme on le croit à Canal+, un syndicat de « fachos » ou une alliance de beaufs-tueurs, mais le produit d’une histoire singulière : aux États-Unis, une communauté politique composée d’individus libres s’est dotée de territoires, d’institutions, puis d’un État.  La France est née d’un processus inverse : l’État, créé par des dynasties royales pour servir leurs intérêts, a donné naissance à la communauté nationale. Ces histoires différentes ont engendré deux cultures politiques radicalement différentes – ici par la Révolution, là-bas par la guerre d’Indépendance et la création de l’Union des treize colonies.

Le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, adopté en décembre 1791, est l’expression succincte de cette tradition : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »  Un siècle plus tard, la guerre de Sécession et ses multiples séquelles vont renforcer ce droit. Constatant que le soldat nordiste est un piètre tireur, certains officiers, encouragés par le haut commandement et le gouvernement fédéral, fondent la NRA (National Rifle Association) pour encourager les citoyens à s’entraîner au tir. À la même époque, les associations de ce type poussent comme des champignons dans des pays comme l’Italie et la Suisse (où le statut particulier du fusil persiste). Aux États-Unis, cette activité permet à de nombreux hommes de s’identifier au mythe de l’Américain pionnier, chasseur et fermier, heureux propriétaire, père de famille indépendant capable de protéger, seul ou avec ses voisins, ses biens et les siens. À la fin du XIXe siècle, au moment où s’achève l’expansion vers l’Ouest – la « Frontière » – cette figure américaine du héros s’installe dans la culture populaire.

Résultat : contrairement à l’État français, l’État américain n’a pas le monopole de la violence légale, donc de la détention d’armes. Autrement dit, les citoyens américains jouissent du droit inaliénable de posséder des armes pour défendre leur sécurité et leur liberté.

Au cours de ses premières décennies d’existence, la NRA a donc pu mobiliser l’imaginaire collectif pour entretenir la culture des armes, alors que les vagues d’immigration effaçaient ses origines anglo-saxonnes. Aujourd’hui, elle est un puissant lobby bien implanté à Washington, qui œuvre essentiellement au service des fabricants et des marchands d’armes à feu. Pourtant, son influence ne s’explique pas seulement par ses considérables moyens financiers. Pour une majorité d’Américains, les armes sont les reliques, les attributs et les rappels permanents de leur histoire commune. Aux États-Unis, en ce début de XXIe siècle, un revolver ou un fusil ne sont pas des vulgaires armes à feu, mais des morceaux de la souveraineté nationale portés par le peuple et pour le peuple.

Dans ces conditions, il est peu probable que Barack Obama et les millions d’Américains qui souhaitent, comme lui, limiter la circulation des armes à feu parviennent à changer la donne. Certes, dans les années 1930, face à la violence des mafias nées de la Prohibition, puis dans les années 1990, pour répondre au phénomène des tueurs solitaires au casier judiciaire vierge, le sacro-saint droit de détenir et porter des armes a été assorti de quelques restrictions, mais seule une véritable révolution anthropologique pourrait changer le statut des armes dans la culture américaine. Si on était dans un épisode de The West Wing, le Président Bartlett – gentil démocrate qui aime les gays et déteste les fusils – affronterait les républicains sur la question et il gagnerait. Délivrés des armes, le monde et l’Amérique seraient meilleurs. Malheureusement, la vraie vie ne ressemble pas aux séries que nous aimons tant. En ce début de second mandat de Barack Obama, les républicains sont remontés et l’opinion sceptique. Aussi faut-il s’attendre, plutôt qu’à une politique de rupture, à  des compromis mous et laborieux. Charlton Heston et Clint Eastwood n’ont pas encore perdu la bataille.[/access]

*Photo : ARTS_fox1fire.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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