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Dupond-Moretti: protecteur des prisonniers et promoteur du « loft » des prétoires


Dupond-Moretti: protecteur des prisonniers et promoteur du « loft » des prétoires
Eric Dupond-Moretti, mars 2021 © Lewis Joly/JDD/SIPA Numéro de reportage : 01012196_000005

Une tribune de Jean-Paul Garraud, député européen (RN), magistrat et tête de liste aux élections régionales de 2021 en Occitanie.


Eric Dupond-Moretti ne cesse d’intriguer le Parlementaire et le magistrat que je suis.

Médiatique, celui qui était avocat pénaliste a gardé de son récent passé le goût de la polémique, des saillies bruyantes, et … de la mauvaise foi. Ainsi, le projet présenté comme étant « sa » réforme de la justice est un texte aussi mal pensé dans ses innovations que le piètre plagiat de travaux longtemps portés par d’autres que lui.

Etait-ce le frère jumeau d’Eric Dupond-Moretti qui qualifiait, il y a encore peu de temps, de « folie » cette expérience de cours d’assises sans jury ? Comment, en effet, imaginer que celui qui se fait aujourd’hui le plus ardent avocat de cette réforme ait été son plus dur contempteur quelques années en arrière ? Il est vrai que plaider avec la même conviction les causes les plus contradictoires est un prérequis pour un plaideur, mais tout de même. Faut-il croire que la traversée de la place Vendôme aurait des allures de chemin de Damas ? « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent », disait l’un de ses prédécesseurs à ce poste, Edgar Faure. En fait de « confiance », c’est bien celle des Français dans la parole publique qui ne manquera pas d’être altérée par un tel revirement opéré avec ce cynisme. 

Le ministre, toujours avocat pénaliste

Sur le fond, le ministre, dans sa communication, se garde bien de payer sa dette à ceux qui, bien avant lui, avaient été les promoteurs de la formule, tels, son prédécesseur Toubon, ou, votre serviteur puisque j’avais déposé une proposition de loi UMP, voici 11 ans, d’une réforme de la Cour d’Assises, depuis réactualisée dans notre livre blanc du RN sur la justice de février 2020.

Ainsi, après mon projet sur le parquet national antiterroriste, aussi insuffisamment que mal repris par Macron, Dupond-Moretti reprend tout aussi insuffisamment ma réforme de la Cour d’assises. Lorsqu’en 2010, je proposais cette réforme, l’avocat Dupond-Moretti s’écriait, tenez-vous bien : « C’est l’idée la plus stupide et la plus antidémocratique que j’ai entendue depuis longtemps. » Celui qui annonçait que, lui ministre de la justice, ce serait le « bordel », tient parfaitement ses promesses. Quand, de mon côté, je prévoyais, à côté de trois magistrats, deux assesseurs populaires ; maître Dupond-Moretti voudrait y voir des avocats honoraires. Peur du peuple qui vote mal ? On est en droit de se poser la question. Il est vrai qu’on n’est jamais si bien servi que par les siens.

La réforme de la Justice témoigne d’une obsession anti-carcérale chevillée au corps. Curieusement, ce n’est pas là-dessus que Chancellerie et médias ont le plus orienté l’attention du grand public

Le Barreau n’aura pas loisir de se plaindre de l’ingratitude de leur célèbre confrère avec cette réforme. On s’attendait, évidemment, à une sanctuarisation accrue, visant à rendre encore plus difficiles qu’à l’heure actuelle les investigations à l’égard des intéressés quand il y aurait motif de les soupçonner d’être impliqués dans une infraction : les « gestes barrière » sont, ainsi, multipliés à leur bénéfice. Elle est agrémentée de divers petits cadeaux à la profession, de ceux qui entretiennent l’amitié… Eric Dupond-Moretti avait déjà manifesté la volonté de substituer des avocats aux magistrats : on en a la confirmation, puisque l’on va jusqu’à créer, alors qu’il existe déjà de larges possibilités d’intégrer des avocats au corps judiciaire, un statut spécial et sur mesure d’ « avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles » (sic ! il n’est pas précisé si cette « chauve-souris » portera la robe des magistrats ou conservera la sienne : ce sera peut-être dans le décret d’application), destiné, sans fard, à peupler non seulement les nouvelles cours criminelles départementales, mais aussi, les cours d’assises subsistantes, à titre d’assesseurs.

Le ministre des prisonniers

Sur BFM TV, Eric Dupond-Moretti l’a déclaré lui-même : « Je suis le ministre des prisonniers ». Sa vie d’avocat en témoignera pareillement. Qui se souvient que son premier déplacement de ministre, en la prison de Fresnes, fut conclu par une salve d’applaudissements lancée depuis les cellules par des détenus en transe ? Une visite « symbolique » qui synthétise assez bien l’action et la personnalité de l’actuel garde des Sceaux, tout entier marqué d’un autre sceau, celui du mitterrandisme laxiste et de ses avatars. Ainsi, les procédures seront toujours plus entravées avec sa réforme avec une reprise presque totale des dispositions issues de la « Commission Mattéi », presqu’exclusivement composée d’avocats. Ces dispositions cloisonneront les enquêtes préliminaires dans des délais plus ou moins stricts, et, introduiront un large accès au dossier pour les intéressés et leurs conseils. Une « usine à gaz » procédurale qui constituera, un nid d’embûches et de causes de nullité, venant s’ajouter à toutes celles que le génie du législateur contemporain s’est plu à imaginer.

De fait, maître Dupond-Moretti a, aussi, des comptes à régler avec policiers et gendarmes, et, très généralement, avec la justice pénale. C’est peut-être la plus formidable imposture, dans la communication du garde des Sceaux : en braquant le projecteur sur la suppression des remises de peines automatiques il donne l’illusion qu’il veut lutter contre le laxisme de l‘application des peines. C’est totalement inexact. D’abord, l’automaticité de l’une des réductions de peine possible ne joue que pour l’octroi initial et s’accompagne de la possibilité, effective, d’un retrait, total ou partiel en cas de mauvais comportement ; ce qu’on se garde, en général, de préciser.

Ensuite, cette réforme, qui, matériellement, va entraîner une charge supplémentaire importante pour les services en cause, s’accompagne, en contrepartie, d’un… accroissement sensible des possibilités d’abrègement de la peine et de sortie anticipée ! C’est ainsi, qu’alors que le total des réductions possibles est, aujourd’hui, dans le meilleur des cas, de cinq mois par an, on va passer à… six mois par an ! Comme un bonheur n’arrive jamais seul, le ministre qui s’est fait applaudir dans les prisons à son arrivée, offre à ses supporters le cadeau d’une libération obligatoire dite « sous contrainte » (bien légère, en général…), trois mois avant l’échéance, pour une peine (après réductions…) ne dépassant pas deux ans –ce qui représente un très grand nombre de l’ensemble. Même ses prédécesseurs Taubira et Belloubet n’avaient pas osé aller jusque-là ! On pourrait d’ailleurs aller plus loin et évoquer les diverses dispositions dont le texte est parsemé, cherchant à rendre plus difficiles le placement ou le maintien en détention, notamment provisoire, témoignages, s’il en était besoin, d’une obsession anti-carcérale chevillée au corps… « Curieusement », ce n’est pas là-dessus que Chancellerie et médias ont le plus orienté l’attention du grand public…

Le ministre des caméras

Faites entrer l’accusé… et les caméras ! C’est sans doute cet aspect du projet qui a le plus suscité l’intérêt et appelé de commentaires. Les dispositions prévues, passablement confuses et, de toute façon incomplètes, dans l’attente d’un texte d’application, donnent un peu le sentiment que l’on s’avance masqué, plus ou moins en retrait, mais, d’évidence, à contrecœur, par rapport à l’intention initiale, proclamée à son de trompe. On relève, notamment, que, contrairement à ce que laisse entendre la communication ministérielle, l’accord des parties ne sera pas requis pour les audiences publiques ; on se demande comment, pour la diffusion, leur protection, s’ils l’ont demandée, pourra être concrètement assurée. On relève aussi qu’il n’y a pas que les audiences de jugement concernées : il est question… de l’enquête et de l’instruction ! Le texte soulève donc beaucoup de questions. Quoiqu’il en soit, on peut redouter un facteur majeur de perturbation du travail judiciaire, surtout dans les affaires déjà très médiatisées, avec une forte pression pour obtenir le droit de filmer. Tandis que l’on voit s’avancer, en arrière-plan, de gros intérêts mercantiles, avides de faire de la Justice un spectacle rentable de téléréalité… C’est mettre le doigt dans un engrenage que l’on ne maîtrisera plus.

Dans le même ordre d’idées, le pseudo-contrat de travail pénitentiaire apparaît comme un gadget idéologique de plus destiné à faire un coup médiatique. Il entretient l’idée qu’un travailleur en prison est un travailleur comme un autre au mépris de la réalité des faits et des contraintes de la situation pénale. Il n’en sera pas moins un facteur de déstabilisation sérieux dans les établissements, avec le risque, non seulement, d’un plus grand formalisme et de chicanes inutiles, mais aussi, d’une complication de l’organisation du travail et d’un renchérissement de son coût pour les entreprises, avec le risque de l’effet pervers… de diminuer les possibilités du travail en prison, soumises déjà à de multiples et délicates contraintes à gérer et concilier !  D’autant qu’en filigrane, se dessine l’octroi de droits sociaux aux détenus que le Gouvernement a renvoyé à une ordonnance ultérieure. Le texte en prévoit, au demeurant, plusieurs autres sur des sujets divers, court-circuitant ainsi, en fait, le Parlement, comme l’habitude s’en est prise…

Ce projet de réforme confirme, s’il en était encore besoin, la profonde défiance, totalement justifiée, qu’a pu inspirer l’actuel garde des sceaux depuis sa nomination.



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Magistrat, Député européen RN, Président de l'Association professionnelle des Magistrats, Ancien Député UMP.

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