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Du rififi à Radio J


Du rififi à Radio J

C’est promis, plus jamais je ne l’appellerai Marine. Il paraît que l’usage de son seul prénom par les commentateurs contribue à la banaliser, à la « décontaminer » (ça, c’est le Nouvel Obs qui le dit, c’est donc du solide !). On n’ira pas, comme c’est la règle au Monde diplomatique, jusqu’à écrire « M. William Clinton » ou « M. Anthony Blair », mais nous tiendrons désormais à bonne distance langagière la présidente du Front National.

Madame Le Pen, donc, a provoqué l’émoi dans le shtetl et le mellah du judaïsme français lorsque le bruit s’est répandu qu’elle allait être l’hôte d’une émission-phare de la fréquence radiophonique juive, le Forum de Radio J, où le journaliste Frédéric Haziza s’entretient chaque dimanche matin avec une personnalité politique.

Cette initiative a fait l’effet d’une bombe : jamais, au grand jamais un responsable du Front National n’avait eu jusque-là la possibilité de s’adresser directement aux Juifs de France à travers un média communautaire. Les mots d’esprit du père de madame Le Pen, genre la Shoah « détail de l’Histoire » ou « Durafour crématoire » n’avaient pas fait rire dans le ghetto, et pour les comiques on a tout ce qu’il nous faut chez nous, de Popeck à Gad Elmaleh, en passant par Michel Boujenah.

Le président du CRIF, Richard Prasquier s’est offusqué du fait que l’on donne ainsi un certificat de cacherout à une dame réputée raciste. À l’inverse, Gilles-William Goldnadel, étoile montante dans le firmament communautaire, membre du conseil politique du CRIF, dénonce « un bridage de la pensée », « un manque de liberté d’expression » et un « déni de démocratie ». « On ne peut pas traiter sur le même plan l’homme du point de détail et sa fille qui a déclaré dans les colonnes du Point que la Shoah avait été le summum de la barbarie », a-t-il ajouté. Ce point de vue est également soutenu par Théo Klein « conscience de gauche » du judaïsme français.

On ne peut rien comprendre à toute cette histoire sans aller regarder de plus près cette fameuse fréquence (94.8 FM à Paris), qui est en fait partagée entre quatre radios, toutes juives, mais totalement indépendantes les unes des autres, et dotée chacune d’une ligne éditoriale autonome.

Radio J, celle par qui le scandale est arrivé, est dirigée par Serge Hajdenberg, le frère de Henri Hajdenberg qui fut président du CRIF à la fin du siècle dernier. Elle est l’héritière du courant « Renouveau juif » qui, dans les années 1980, avait pris la tête de la contestation de l’establishment communautaire jugé trop tiède dans son soutien à Israël et dans sa lutte contre l’antisémitisme en France. Henri s’est intégré plus tard dans les rangs des notables, alors que Serge a conservé l’esprit frondeur de sa jeunesse.
RCJ, dirigée par Shlomo Malka est, en revanche, la voix officielle du Fonds Social Juif Unifié (FSJU), principale institution du monde juif français qui mène des activités éducatives, culturelles et sociales à partir de ses locaux de la rue Broca, le centre Rachi[1. Par souci de transparence, il faut préciser que l’auteur de ces lignes est détenteur d’une chronique hebdomadaire sur cette radio, ce qui ne l’empêche pas de tacler le boss du FSJU avec d’autant plus de bonne conscience qu’il n’est pas rémunéré pour cette prestation….].

Les deux autres radios, Judaïques FM et Radio Shalom, moins bien dotées que les deux premières, défendent une ligne proche du « camp de la paix » israélien et, pour Radio Shalom, on note un penchant favorable à la monarchie marocaine dont le propriétaire de la station est proche…

C’est donc dans ce contexte de concurrence interne, principalement entre Radio J et RCJ, que l’on doit replacer le « coup » tenté par Radio J et Frédéric Haziza. Les « reprises » du lundi matin auraient été innombrables et la notoriété de la station et de son journaliste aurait grimpé en conséquence. Mais cette affaire est tout de même symptomatique de l’effet « madame Le Pen » sur l’ensemble du corps social français, jusque dans des secteurs qui devraient a priori rester de marbre devant la danse des sept voiles interprétée devant le pays par la candidate du FN à l’élection présidentielle de 2012.
Pour essayer d’y voir plus clair, il suffit de répondre à deux questions simples : madame Le Pen est-elle une personnalité politique comme une autre et les radios juives sont-elles des radios comme les autres ?

À questions simples, réponse compliquées, car on ne fréquente pas impunément le talmud. D’un point de vue juif, la présidente du Front national a explicitement rompu avec le discours de son père sur la Shoah en déclarant que cette dernière constituait « le summum de la barbarie ». Cette déclaration suffit-elle à la réintégrer dans la cohorte des personnalités « interviewables » sur 94.8 ? Pas nécessairement, car le FN, à ma connaissance, n’a pas exclu de ses rangs des gens comme Bruno Gollnisch qui soutiennent les négationnistes.

C’est la réponse à la deuxième question qui devrait, en principe, décider en dernier ressort du bienfondé d’une éventuelle invitation de madame Le Pen à l’antenne. Si tous les grands médias ont ouvert leurs micros à cette dernière, pourquoi faudrait-il s’interdire de faire de même, à moins de vouloir se limiter à diffuser les nouvelles internes à la communauté ? Radio J et RCJ, qui diffusent chacune une émission politique dominicale, où les leaders nationaux sont invités à s’exprimer sur tous les sujets d’actualité peuvent-elle ostraciser l’un d’entre eux au prétexte que ses positions risquent de choquer le public de cette fréquence ? J’aurais tendance à répondre non à cette question, car le seul tabou qu’il convient de ne pas briser pour ces radios c’est celui de faire la promotion des gens qui appellent à la destruction du peuple juif ou d’Israël, genre Ahmadinejad, Hamas ou Hezbollah.
Pour le reste, les auditeurs de cette fréquence sont des adultes responsables, souvent fort diplômés, dont le jugement ne saurait être subrepticement perverti par le discours enjôleur de madame Le Pen.

Ce qui est bien plus regrettable que cette bouffée d’indignation rituelle, c’est la disparition, après un demi-siècle de bons et loyaux services intellectuels de la revue L’Arche, qui était le rendez-vous mensuel de l’intelligentzia juive. Pierre Besnainou, directeur du FSJU et « cost-killer » intraitable, a jugé que ce machin pour intellos plombait le budget. Il faut dire qu’avant d’assumer cette charge communautaire, Besnainou avait été l’un des dirigeants de la boite de prod’ télé AB productions, où l’on sort son audimat dès qu’on entend le mot culture.



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