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Droite/gauche : le clivage le plus bête du monde


Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la “Battle” sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy contre Pascal Riché sur « comment sauver la droite la bête du monde ? »

On ne sait plus où donner de la tête. À raison d’un cataclysme historique ou d’un retournement majeur par semaine, la campagne présidentielle s’annonce riches en émotions. En tout cas, le festival du commentaire péremptoire n’est pas prêt de s’arrêter. On sait donc avec certitude depuis l’élection d’un socialiste à la présidence du Sénat que « Sarkozy est foutu » – d’ailleurs, c’est ce que pensent les Français qui, à force de l’entendre toute la journée, le répètent gentiment aux sondeurs.

Le retrait de Jean-Louis Borloo – dont seuls les amis et encore pas tous pensaient qu’il irait jusqu’au bout – a suscité des analyses plus contrastées mais tout aussi catégoriques. « Bonne nouvelle pour l’Elysée », affirment les uns qui jurent avoir vu la main du président dans la culotte de leur sœur. « La droite a perdu son râteau à récolter les voix centristes », prétendent les autres – en particulier les centristes.
Le forfait du maire de Valenciennes a en tout cas remis au goût du jour une grille de lecture séduisante à défaut d’être pertinente, puisqu’elle permet de détester Nicolas Sarkozy sans rejeter dans l’enfer du conservatisme et de la réaction la grosse moitié des Français qui a voté pour lui.

La droite, c’est comme le cholestérol, il y en a une bonne et une mauvaise, une qui offre des clopes et une qui donne des coups, une qui épouse au grand jour et une qui « flirte » dans les coins sombres – devinez avec qui. Citant Jean-François Copé qui a déclaré que l’UMP devait donner toute sa place à « cette sensibilité », Le Parisien précise entre parenthèses qu’il s’agit de la sensibilité « humaniste ». En clair, à la droite de Jean-Louis Borloo, on n’est pas vraiment humaniste. Il est vrai que la plupart des commentateurs incluent dans cette droite fréquentable tous ceux qui, à l’UMP, sont supposés s’opposer au « candidat naturel », voire être tapis en embuscade comme Alain Juppé qui ne doit pas en revenir de sa nouvelle popularité, dans le peuple médiatique en tout cas.

Logiquement, on dénonce donc régulièrement la « droitisation de la droite » qui serait incarnée par Patrick Buisson – lequel a surtout le tort de croire que l’électorat se saucissonne en parts de marché. La « droitisation », pour faire court, ça consiste à parler d’immigration, de sécurité et de drapeau, thèmes « nauséabonds » car contaminés pour des millénaires par le Front national – dans ces conditions, André Gerin et peut-être même Ségolène Royal devraient rapidement rallier le Président sortant. Et tant pis si ces thèmes intéressent les Français, en particulier ceux qui appartiennent aux classes populaires, y compris les rares dont le PS n’a pas encore réussi à se débarrasser. Tout le monde semble avoir oublié qu’une élection ne se gagne pas au centre, à gauche ou à droite, mais au peuple.

Au lieu de l’accuser de racisme, xénophobie, frilosité, on pourrait donc se demander ce qu’il veut, ce fichu peuple, pas ce qu’il veut qu’on lui dise, mais ce qu’il voudrait qu’on fasse. À moins qu’on n’ait pas très envie de le savoir. On risque en effet de découvrir qu’une grande partie des Français, quelles que soient leurs appartenances politiques et leurs origines géographico-culturelles, veulent rester un peuple, c’est-à-dire une collectivité qui décide de son avenir à l’intérieur de ses frontières. Si la question de l’immigration est si sensible, ce n’est pas parce que les Français sont racistes, mais parce que depuis 30 ans, les bonnes âmes de droite et de gauche n’ont rien trouvé d’autre à en dire que le fait qu’elle était une « chance pour la France » – comme si un phénomène social d’une telle ampleur pouvait être décrété bon ou mauvais. Or, ce que redoutent beaucoup de citoyens comme vous-et-moi (c’est-à-dire pas seulement d’affreux lepénistes au couteau entre les dents), c’est que la France et les autres nations disparaissent parce que, contrairement aux ravis de la crèche européenne, ils savent qu’après les nations il n’y a rien, rien en tout cas qui puisse servir de cadre à la vie publique et à la démocratie. Autrement dit, la plupart des « gens ordinaires » n’ont pas besoin de lire Michéa pour comprendre que tout changement n’est pas synonyme de progrès et que l’effacement des frontières n’est pas une bonne nouvelle.

L’ennui, c’est que ce clivage qui prend ses racines dans l’anthropologie profonde ne permet nullement de distinguer la droite de la gauche. Une fois de plus, le peuple devra choisir, non pas entre deux familles idéologiques mais entre deux écuries électorales qui, au-delà des différences rhétoriques, finissent par mener peu ou prou la même politique puisqu’il n’y en pas d’autre. N’en déplaise à mon cher confrère, plutôt que de chercher à sauver la droite (ou la gauche), il s’agit peut-être de se délivrer une fois pour toute des ces signifiants dépourvus de référents. Alors, il est fort possible que les électeurs décident de changer d’écurie pour signifier leur déception mais ce sera sans grandes illusions. Le meilleur argument de la gauche reste le rejet de Nicolas Sarkozy. Et voilà pourquoi notre vie politique est muette.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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