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Dissoudre Génération Identitaire?

Dissolutions d'associations: l'autoritarisme paresseux


Dissoudre Génération Identitaire?
Paris, juin 2020 © Numéro de reportage : 00967146_000001 Auteurs : SEVGI/SIPA

« Dissolution ! », est-il demandé avec ferveur au sujet des associations ou organisations qui dérangent…


Agiter le spectre de la dissolution d’un groupe factieux, ou qualifié comme tel, est souvent le moyen pour un pouvoir de faire diversion. Ainsi, Gérald Darmanin a-t-il menacé récemment Génération Identitaire de cette sanction. Détermination sincère ou savante opération de communication politique ?

Une loi de 1936

Loi de circonstance pensée en réaction aux évènements du 6 février 1934, la Loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées n’a depuis jamais été remise en question. Et pour cause, elle offre au gouvernement la possibilité de dissoudre « toutes les associations ou groupements de fait » par décret rendu en Conseil des ministres. C’est tout de même pratique. Attentatoire au principe de la liberté d’association consacré par la loi du 1er juillet 1901, la possibilité pour l’exécutif de dissoudre un groupement est donc strictement encadrée, bien que son usage ait pu parfois surprendre au fil des ans, notamment après les évènements de mai 1968. Décidées par un décret présidentiel de Charles de Gaulle inspiré par son nouveau ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, les dissolutions de onze mouvements d’inspiration communistes-révolutionnaires étaient justifiés par ladite loi du 10 janvier 1936 dont les critères imprécis permettent de viser large.

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Ces dissolutions administratives sont des mesures de police administrative qui s’entendent dans une logique préventive. L’exécutif agit contre la liberté d’association dans l’objectif de protéger l’ordre public. Pour ce qui concerne Génération Identitaire, il est autorisé de se demander sur quel article Gérald Darmanin se fonde pour demander cette dissolution administrative, fort peu commune quoique régulièrement envisagée. À telle enseigne qu’il convient de se demander s’il ne s’agit pas d’une diversion, ou, peut-être, d’une opération visant à faire bonne mesure après la dissolution controversée en octobre dernier de l’association musulmane BarakaCity, au motif selon le ministre « qu’elle incitait à la haine, entretenait des relations au sein de la mouvance radicale, se complaisait à justifier des actes terroristes ». Une dissolution qui a conduit le président de BarakaCity à demander l’asile politique en Turquie – prière de ne pas rire -.

Peut-on dire que Génération Identitaire entre dans cette catégorie ? C’est une ordonnance du 12 mars 2012 qui a codifié aux L.212-1 et L.212-2 du Code de la sécurité intérieure que pouvaient notamment être dissous par décret en Conseil des ministres « toutes les associations ou groupements de fait qui provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourageant cette discrimination, cette haine ou cette violence ». C’est, on le suppose, le reproche fait à Génération Identitaire. Mais le ministre de l’Intérieur a-t-il le degré de réflexion de Cyril Hanouna ?

Autre grief, plus baroque: les doudounes bleues de ses membres lors de patrouilles en montagne… L’un des griefs formulés à l’égard du groupe Génération Identitaire est que ses membres choisissent volontairement de circuler avec des vêtements rappelant ceux des gendarmes. Le 2 de l’article 1 de la loi du 10 janvier 1936 énonce que seront dissous les associations ou groupements de fait qui « en dehors, des en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d’éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privée ».

Darmanin pourrait ne pas mettre à exécution sa menace

Les deux arguments que peut avancer l’exécutif semblent bien hasardeux, quand bien même des associations furent dissoutes sans motifs très sérieux par le passé… se reconstituant un peu plus tard, à l’image de la Ligue Communiste Révolutionnaire qui était une reconstitution d’une ligue dissoute appelée « Jeunesse communiste révolutionnaire » déjà dirigée par Alain Krivine. S’opposer aux politiques migratoires menées par un gouvernement est licite, ne constituant sûrement pas un appel à la haine. De la même manière, circuler en montagne avec une doudoune ne s’apparente pas à une activité de « milice privée », si les membres du groupe en question ne sont pas armés et ne se livrent pas à des manœuvres militaires. Gérald Darmanin ne peut d’ailleurs pas ignorer que Génération Identitaire aurait le droit à un recours juridictionnel non suspensif devant le juge administratif, lequel aurait pour tâche de vérifier la légalité interne du décret. Ce qui serait éventuellement reproché à Génération Identitaire devra donc entrer dans l’une des conditions explicitement prévues par le texte.

De plus, le juge contrôlera la proportionnalité de la mesure. Le trouble potentiel à l’ordre public sera soupesé, évalué, comparé à l’atteinte à la liberté d’association. Un tel décret ne saurait donc être pris à la légère, pour satisfaire l’opinion ou complaire aux belles âmes. Gérald Darmanin, par ses fonctions de ministre de l’Intérieur, devrait comprendre qu’on ne joue pas à la légère avec les libertés fondamentales d’expression et d’association. Elles sont le socle d’une démocratie libérale digne qui ne saurait être effrayée par la diversité idéologique. Ce n’est pas au juge administratif de s’interroger sur l’opportunité d’une décision de dissolution, c’est au pouvoir politique de le faire.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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