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Dieu sauve la banque


Dieu sauve la banque

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C’est une solution comme une autre que la solution hollandaise (pas hollandienne, hein !) pour sauver les banques, ou au moins restaurer la confiance des clients.

Une digression pour commencer : oui, on dit client maintenant, on n’ose plus dire usager, ça sent trop son socialisme rampant, ses jours heureux façon CNR avec cette idée obsolète de service rendu qui primait parfois encore un peu sur la transaction commerciale. Aujourd’hui, faites vous bien à l’idée que vous n’êtes plus usager de rien, ni du train, ni de la poste, ni du téléphone, ni des autoroutes pour la bonne raison que vous ne possédez plus rien, tout ayant été privatisé. Vous n’êtes plus qu’un client, c’est à dire quelqu’un avec qui on va essayer de faire le plus de profit possible et le plus vite possible tout en lui donnant l’illusion que c’est lui qui fait une bonne affaire. Ce qui explique que dans un wagon, vous n’avez plus une seule personne qui a payé le même prix pour un Paris-Vesoul (Paris-Vesoul qui d’ailleurs n’existera encore que s’il est rentable), que dans une file d’attente à la poste, la guichetière chargée de remplir « des objectifs » va tenter de vous convaincre avec acharnement d’affranchir vos vœux pour votre tata (celle que vous allez voir parfois à Vesoul) au tarif Chronopost en vous expliquant qu’une lettre à vitesse lente risque fort d’arriver à la fin du premier quinquennat de Marine Le Pen, vers 2021, quand votre tata sera morte ou qu’elle aura rejoint la résistance.

Ne parlons pas des rendez-vous avec votre banquier qui, si vous n’êtes pas à découvert, vous propose dans un sourire léonin des « placements adaptés » sans que vous réussissiez à vous départir de l’impression d’être dans un polar américain de série B en face d’un vendeur de voitures d’occasion qui vous refile une Studebaker d’occasion à un prix imbattable mais qui tombera en rade quelques dizaines de miles plus loin.

Il faut dire que les banques, ces dernières années, elles ont fait très fort pour le bonheur des peuples. Il y a eu la crise des subprimes de 2008, le scandale de la manipulation du Libor et en Europe les bénéfices monstrueux engrangés en prêtant aux Etats un argent que les banques ont emprunté pour presque rien à la Banque centrale européenne, BCE  abondée par ces mêmes Etats qui payent donc pour ce qu’ils ont donné. Et quand les banques n’ont plus d’argent à cause de leurs activités spéculatives, ce n’est pas trop grave, ces grands libéraux viennent demander à ces mêmes Etats, c’est à dire aux peuples, de les renflouer pour pouvoir continuer. Ça s’appelle la logique capitaliste financière mais ne cherchez pas, c’est le seul système rationnel, comme « la main invisible du marché » et « ses harmonies spontanées ». Il suffit de vous agenouiller, de fermer les yeux et de croire. Ne commencez surtout pas à douter ou à rire,  vous seriez traités d’hérétique, d’idiot, de communiste, voire des trois à la fois.

Evidemment, à la longue, la confiance dans les banques s’est érodée. Quand on vous fait vivre pour des générations dans l’austérité ou qu’on vous renvoie à la limite de la tiers-mondisation façon grecque ou espagnole, le premier réflexe quand vous entendez le mot banquier est de sortir votre revolver. Peuple tempéré et protestant, qui ne veut pas en arriver à de telles extrémités, les Pays-Bas ont donc décidé de faire prêter serment aux banquiers. Comme pour les médecins avec Hippocrate. Comme il n’y a pas d’Hippocrate pour les banquiers, et estimant qu’il vaut mieux s’adresser au bon dieu qu’à ses saints, ce qui tombe bien car le batave est parpaillot[1. Ne cherchez pas la contrepèterie.], les banquiers hollandais doivent depuis le 1er janvier prêter serment à Notre Seigneur. « Je jure que je m’efforcerai de préserver et consolider la confiance dans l’industrie des services financiers. Que Dieu tout-puissant me vienne en aide.» C’est par cette phrase que se conclura la cérémonie.

On aura beau dire, Dieu est de retour en Europe. Malraux avait un peu parlé d’un vingt-et-unième siècle qui serait mystique ou ne serait pas, mais on ne s’attendait pas à ce que cela aille si vite. Passe encore que chez nous, le Printemps Français rêve de nous transformer en théocratie dans une alliance de plus en plus objective avec les Barbus suburbains, mais voilà que Dieu vient en plus d’être convoqué pour restaurer le taux  de confiance dans les banquiers qui, en Hollande, était passé de 90% en 2008 à 37% en 2013.

Dieu vaut-il mieux qu’une bonne vieille nationalisation ? Je veux dire pour vérifier que les banquiers ne jouent pas au casino avec mes éconocroques, est-ce que je peux me fier davantage à Dieu qu’à l’Etat ? Si je crois en Dieu, sans aucun doute à condition, évidemment que mon banquier y croit aussi. Ce qui est déjà un pari plus audacieux. Et même s’il y croyait, mon banquier, et qu’il soit protestant comme ce sera le cas en Hollande, ça ne changera pas grand chose au problème. Le banquier protestant, parce qu’il est protestant, ne verra aucun inconvénient à me ruiner au nom de Dieu puisque la fortune, chez ces maudits Réformés, est un signe d’élection divine, sachant qu’ils parlent de leur fortune à eux et pas de la mienne, du coup.

Admettons maintenant que mon banquier soit catholique, il aura certes sans doute plus de scrupules à me ruiner mais qu’est-ce qui me prouvera qu’il n’est pas partisan de la théologie de la libération, mon banquier ? Oui, figurez-vous qu’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père et que la figure du catholique ne se résume pas aux ayatollahs à crucifix de Civitas ou à Béatrice Bourges qui ferait passer l’Opus Dei pour une boîte à partouzes. Il y a des catholiques de gauche, très à gauche même, regardez le pape François. Qu’est-ce qui me garantirait, dans cette hypothèse, que mon banquier n’utiliserait pas mon flouze, tout en ayant le sentiment de respecter son serment, pour financer du commerce équitable ou une quelconque révolution bolivarienne. Dans un tel cas de figure, j’essaierai de faire contre mauvaise fortune bon cœur, mais bon, tout le monde n’est pas obligé d’être de gauche tiers-mondiste old school comme votre serviteur.

Dernière hypothèse, mais j’ose à peine l’imaginer, Dieu n’existe pas, les banquiers hollandais le savent mais sont comme leurs confrères européens tellement aux abois qu’ils sont prêts à n’importe quoi pour continuer à faire de l’argent, quoi qu’il arrive.

Mais ça je n’ose y croire. D’ailleurs, Dieu ne le permettrait pas.

 

*Photo : Frenkieb.



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