Pour le professeur Raoult, ce n’est pas le niveau scientifique de la France qui est mauvais, mais le choix des scientifiques sollicités pour gérer la pandémie de Covid. Grand entretien
Causeur. En tant qu’épidémiologiste, qu’avez-vous pensé de la théorie d’un SARS-CoV-2 issu du laboratoire P4 de Wuhan ?
Didier Raoult. Je ne suis pas de nature paranoïaque. En revanche, je suis un expert en virologie. L’idée que l’on puisse deviner à l’avance les facteurs de pathogénicité et de contagion d’un virus ne me paraît pas réaliste, donc je ne crois pas que l’on puisse délibérément créer un virus, c’est du cinéma et de l’intox générant un fond infini de peur. Cela fait vingt ans que j’entends parler de la fable de la création d’un virus épouvantable mais en pratique, on ne sait pas le faire.
Vous êtes donc en phase avec les collectifs de scientifiques qui ont condamné fermement cette théorie dans The Lancet et Nature Medecine ?
Je n’aime pas la politique éditoriale de ces deux revues qui sont complètement achetées par l’industrie pharmaceutique. Dans la revue Nature, une publication sur trois est sponsorisée par une industrie et l’essentiel des publications de The Lancet de 2020 servait une campagne anti-Trump totalement assumée par son rédacteur en chef, Richard Horton, qui répétait à qui voulait bien l’entendre que le président des États-Unis était une menace pour la santé mondiale.
La différence entre les médias traditionnels et les journaux scientifiques n’existe plus depuis que les journalistes scientifiques, vrais idéologues, ont politisé ces derniers et, par extension, la science.
N’y avait-il pas une volonté de censurer la communauté scientifique en qualifiant de « complotiste » tout chercheur qui souhaitait aller au bout de l’hypothèse d’une origine artificielle du virus ?
Si, alors que les opinions peuvent diverger. Pour ma part, je suis de l’avis de Christian Drosten, virologue allemand pour qui j’ai beaucoup de respect. Il faut avoir à l’esprit la façon dont se font les zoonoses (contamination de l’homme par un animal, NDLR) avec les virus ARN chez les chauves-souris. Ces animaux vivent dans des collectivités uniques au monde, un million d’entreelles peuvent cohabiter dans une même grotte et là-dedans, elles se frottent les unes contre les autres se passant les virus à une vitesse folle.
Pour que vous me croyiez (rires), je peux vous parler à titre d’exemple de ce qui a été une grande source de variabilité de ce virus et qui n’a pas été déduite ou crainte, mais observée ! Il s’agit des visons qui appartiennent aux mustélidés, une famille de mammifères de laquelle émane une incroyable diversité de virus. C’est phénoménal !Ce mammifère est un hôte très réceptif à ce type de virus et évolue dans des élevages de très grande densité à l’instar des chauves-souris.
Je regrette que les médias n’en parlent pas ! L’épidémie de coronavirus qui a démarré aux Pays-Bas, puis s’est propagée au Danemark a provoqué l’abattage de 17 millions de visons ! C’est inouï.
Chez nous, les zoonoses se produisent également dans les élevages intensifs des porcs et des poules, provoquant des épidémies de staphylocoques, Escherichia coli et entérocoques. En Extrême-Orient, où on élève les porcs avec les poules dans des élevages à densité extrême, c’est la variabilité de la grippe aviaire qui est considérable. Les virus se transmettant rarement des oiseaux aux humains, c’est lorsque la grippe passe de la poule au porc qu’elle devient susceptible de s’adapter plus facilement à notre organisme.
Je reconnais l’existence du « syndrome de Faust », mais l’imagination de la nature pour les virus ARN dans les élevages intensifs est de mon point de vue un million de fois supérieure à l’imagination de n’importe quel apprenti sorcier ou savant fou.
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Dans ce cas, comment expliquez-vous les informations récemment déclassifiées par l’État américain et révélées par le Wall Street Journal en mai 2021 sur le groupe de chercheurs du P4 de Wuhan qui auraient présenté des symptômes du Covid-19 à l’automne 2019 ?
Cette information qui vient des services secrets américains et, personnellement, je me méfie des Américains, car ce sont toujours eux qui mentent. Dans mon livre Épidémies, vrais dangers et fausses alertes, je raconte comment je me suis fait avoir à deux reprises par les informations « grises » (douteuses, NDLR) que la CIA et les officiels américains faisaient circuler lorsque je travaillais au ministère de la Santé. D’abord en 2005, sur l’affaire du charbon (anthrax, NDLR) en Irak. Cet énorme mensonge est le premier cas de fausse épidémie auquel j’ai été confronté. La seconde fois, le mensonge portait sur un stock du virus de la variole, supposément détenu par Saddam Hussein et qui s’est avéré n’être qu’un prétexte pour envahir l’Irak.
Comme Trump l’a très bien dit, le plus grand ennemi économique des États-Unis est la Chine. Je pense que lorsque les Américains veulent dominer, ils sont capables de diffuser les mensonges les plus effroyables. Si j’étais paranoïaque, je dirais que ce sont plutôt les Américains qui nous enfument en essayant de nous faire croire que la Chine a fabriqué ou diffusé intentionnellement le SARS-CoV-2.
Pourtant, c’est justement parce que Trump a soutenu publiquement cette accusation contre la Chine que l’hypothèse d’un virus manufacturé a été totalement bannie du débat public américain. En France cette hypothèse a-t-elle été « contaminée » par les personnalités qui l’ont évoquée comme le professeur Montagnier dans le documentaire complotiste Hold-up ?
Je vous avoue que je ne regarde pas la télévision, je n’écoute pas la radio ni ne lis les journaux donc je n’ai pas vu ce documentaire. Cela dit, je confirme que le niveau de connaissance scientifique des personnes qui abordent ce sujet m’ennuie d’un côté comme de l’autre. Ayant été les seuls à faire des séquençages massifs en 2020 à l’IHU de Marseille, nous pouvions affirmer avec certitude que l’épidémie a repris cet été-là non pas en raison d’une « seconde vague », mais d’un nouveau variant que j’ai appelé le « Marseille 4 » et qui a tué en Europe plus que tous les variants dont on parle aujourd’hui. À ce jour, personne ne réalise qu’il s’agissait là de la première mutation du virus sur ce continent.
Mon hypothèse est que le variant « Marseille 4 » qui est apparu en juillet 2020 est justement né en France par la contamination de l’élevage de visons en Eure-et-Loir pour ensuite se diffuser ailleurs.
Ce qu’il faut comprendre, ce n’est pas la création de ce virus à l’intérieur d’un laboratoire, mais le génie qui réside dans sa capacité à accumuler des mutations car, à la différence du sida ou de l’hépatiteC, il dispose de réservoirs d’animaux.
Si je n’ai aucun mal à concéder que six à sept mutations du SARS-CoV-2 nous ont été cachées, je maintiens que ce n’était pas entre les murs d’un laboratoire, mais bien dans les élevages de visons. Or, la France n’a pas testé ces animaux alors que l’OMS, pour une fois, avait prévenu dès le mois de juin 2020 qu’ils risquaient de relancer l’épidémie.
Mais pourquoi la France a-t-elle failli à ce point ?
À mon sens, ce n’est pas le niveau scientifique de la France qui est mauvais, mais le choix des scientifiques que l’on a sollicités pour gérer la pandémie car nous disposons d’excellents spécialistes des coronavirus comme l’équipe de Bruno Canard et Étienne Decroly, tous deux directeurs de recherche au CNRS. Ils ont d’ailleurs l’impression qu’une partie du virus aurait été manipulée, mais c’est leur opinion et ils sont légitimes à en parler dans la mesure où ils travaillent sur le sujet depuis l’apparition du premier coronavirus dans les années 2000.
Ce qui favorise le complotisme et la méfiance, c’est l’ignorance crasse qui s’exprime en public depuis le début de cette histoire,comme lorsque l’on niait l’existence des variants sans jamais avoir pratiqué un seul séquençage de génome du coronavirus. C’est ce qui arrive lorsque l’on présente son opinion comme un fait.
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Est-ce pour la même raison que le pays de Pasteur n’a pas réussi à trouver un vaccin ?
D’après mon expérience, la France balance entre Saint-Just et Napoléon. Elle a à la fois le goût de la grandeur, du mérite et des grands hommes et grandes femmes puis, de temps en temps, elle a la haine de tout ce qui dépasse.
Nous sortons d’une très grande période de détestation de tout ce qui est bon et en science, cela ne pardonne pas. La science ne fonctionne pas par les réseaux et la cooptation, mais par le leadership et la créativité.
La France est le seul pays à fonctionner avec des comités scientifiques de sélection des unités de recherche dans lesquels siègent des représentants syndicaux de toutes catégories pour décider de ce qu’est un bon chercheur. C’est un contresens ! Biensûr qu’il faut des commissions paritaires pour plus de justice entre tous les corps sociaux, mais on ne peut pas demander à des personnes qui ne pratiquent pas la recherche ni n’en maîtrisent le jargon de juger la qualité de travail des chercheurs. Et c’est précisément ce qui explique la paralysie de la recherche en France dans la mesure où cela provoque la fuite de nos plus jeunes et meilleurs cerveaux vers des pays où ils ont de meilleures conditions de travail, où celui qui découvre est plus respecté que celui qui ne découvre pas et où un chercheur est jugé par ses pairs.
C’est le cas en Extrême-Orient d’ailleurs, région dont la vitesse et la puissance de la recherche me sidèrent à tel point que je comprends pourquoi nous sommes prêts à considérer tous les complots dont on les accuse.
Sommes-nous capables de construire le plus grand hôpital de maladies infectieuses du monde en deux ans comme la Chine l’a fait après la première épidémie de SARS en 2005 ? Sommes-nous capables de construire un hôpital en deux mois comme les Chinois l’ont fait à Wuhan pour gérer la pandémie du Covid-19 ?
Non. Nous ne sommes plus en mesure de répondre aux événements stochastiques ou chaotiques, c’est pour cela que l’on ne peut qu’accuser de tout et n’importe quoi ceux qui détiennent ce savoir.
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