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Des chiffres et des prêtres


Des chiffres et des prêtres

C’est bien la première fois qu’une dépêche couplée Vatican-Pédophilie n’intéresse pas les médias. Début juillet, une nouvelle plainte est déposée contre le Vatican aux Etats-Unis. C’est une plainte, pas une condamnation. Mais ça intéresse. Toutes les rédactions. Ça intéresse Le Monde, Le Figaro, Le Point, Le Nouvel Observateur. Tiens, et la Libre Belgique. Mais là, mes amis, rien, non rien. De cette dépêche, vous ne saurez rien. Pas un média pour diffuser cette dépêche. Le choix du silence.

Dans ma recherche Google, elle est bien seulette, la pauvrette, elle se morfond, la dépêche. Pourtant, elle est pas bien méchante, la mignonnette de l’AFP : tenez, on en a même ôté toutes les réactions du Vatican – celle du Père Lombardi, celle de l’avocat du Vatican -, pour qu’elle ne fasse point trop peur. Ils ont pourtant des choses à dire. Mais dans notre dépêche à nous, seuls les avocats des victimes ont la parole. C’était digeste. Mais on ne l’aime pas, cette dépêche, dans les rédactions. Juste une reprise automatique par La Croix. Et puis… Radio Vatican. Sinon ? Sinon, juste rien. Vous ne saurez pas.

Trois plaintes contre le Vatican abandonnées

Pourtant, non, allez, debout, les gars de la marine ! Sonnez, trompettes et olifants ! Ce mardi, trois plaintes dirigées directement contre le Vatican ont été abandonnées, faute pour les plaignants de pouvoir remplir les conditions posées pour son implication. L’avocat voulait traduire le Vatican et pourquoi pas le Pape devant les tribunaux américains, il renonce. La responsabilité du Vatican ne sera pas mise en cause. Et chez les Saxons, en revanche, on en cause.

Oh, ça peut te sembler dérisoire, à toi l’athée. Mais nous, vois-tu, de notre côté, on s’en est juste pris plein la gueule pendant des semaines. On a encaissé, on a admis, on a assumé, on s’est excusé. Pour ce que l’on n’a pas commis. Par solidarité, par fraternité. Alors, ma foi, oui, un épisode de moins, ça soulage.
Et pourtant, c’était mal barré. Tiens, quand la Cour Suprême a refusé de se prononcer sur la possibilité de poursuivre le Vatican, ça ne faisait pas un pli. Au Monde, au Point, à L’Express, c’était écrit d’avance, gravé, définitif : ce refus ouvrait la voie aux poursuites. Le Vatican pouvait être tenu pour responsable… enfin.

Cela n’a pas été l’opinion de l’avocat des plaignants qui ont abandonné les poursuites, considérant que ce refus de la Cour Suprême de se prononcer confirmait un état du droit qui ne leur permettait pas de poursuivre le Vatican. En six ans de procédure, donc, et malgré les facilités ouvertes en droit américain, malgré la bonne volonté des médias en général et du New York Times en particulier, ils n’ont pu trouver les éléments de fait leur permettant de confirmer l’a priori qui servait de base à leur action. Malgré même le renfort d’Hans Küng, odieusement appliqué à citer à charge cette lettre De Delictis Gravioribus dans laquelle le Vatican annonçait sa décision de centraliser la gestion de ces cas, c’est qu’a contrario elle était décentralisée avant.

Non, ils n’ont pas d’éléments pour démontrer une prétendue politique concertée depuis le Vatican pour imposer le silence sur les cas d’abus.
Ils ont abandonné aussi devant l’ancienneté des faits. C’est qu’à l’image de la quasi-totalité des affaires qui ont fait la brûlante actualité des derniers mois, celle-ci est vieille de plusieurs dizaines d’années. McMurry, l’avocat des plaignants l’a lui-même déclaré : « comment donc allez-vous prouver qu’en 1928, un évêque savait que le prêtre qui a abusé d’un plaignant était un pédophile ? ». En effet, en effet. Que voilà une sage observation, mais qui souligne aussi chemin faisant qu’ils agissaient sans preuve. Voilà une question qu’il fallait se poser avant : avant de vouloir impliquer le Vatican, étaient-ils seulement en mesure de prouver qu’il y a près d’un siècle, avant la seconde guerre mondiale, avant la Grande Dépression, le Vatican était informé d’un cas intervenu dans le Kentucky ? C’est que la perspective était trop belle. Trop conforme à leurs préjugés.

Affaire de gros sous ou délire idéologique

Oh, il n’y a là rien de glorieux, bien sûr. On nage toujours dans la fange immonde. Et personne ne nie la souffrance du plaignant. Le Vatican ne nie pas les abus dont a été victime le plaignant, qui a d’ailleurs été indemnisé (si on peut l’être vraiment). Mais entraîner des victimes dans une longue aventure judiciaire impossible était soit affaire de gros sous pour les avocats soit délire idéologique. Soit les deux.
Idéologique, oui, le traitement réservé depuis l’origine à l’Eglise. Non, bien sûr, elle ne nie pas. Elle ne nie plus. Elle assume l’horreur et la trahison, et nous avec. Elle prend ses responsabilités. Mais elle est bien la seule à le faire.
Parce que « maintenant, nous avons une vraie preuve : la pédophilie n’est pas un « problème catholique »». Il en aura fallu du temps, au blog La Salette Journey, pour se faire entendre. Dès avril, il le disait : Thomas Plante, professeur à Santa Clara et à Stanford, a établi que « 2 à 5% des prêtres ont eu des rapports sexuels avec un mineur, ce qui est inférieur au taux concernant la population masculine générale, établi à environ 8% ».

Ainsi, comme le souligne William Oddie dans son article publié le 10 août dernier, au-delà même de ce qu’établissait Newsweek, à savoir que rien ne permettait de penser que les prêtres catholiques étaient plus concernés que d’autres, il apparaît qu’ils sont 1,6 à 4 fois moins concernés que la population mâle générale. Pas plus, pas autant : moins. Pourtant, on en a souillé, des prêtres, et des vocations, avec ce soupçon ignoble. On en a tiré, des conclusions, sur l’Eglise…

Bref, vos enfants sont statistiquement quatre fois plus en sécurité avec un prêtre catholique qu’avec vous. Votre père. Votre frère…
D’ailleurs, comme le souligne Oddie, « the penny is beginning to drop ». On commence à s’agiter. On commence à s’inquiéter. C’est que selon un rapport, près de 10% des élèves aux Etats-Unis rapportent des cas de relations sexuelles non sollicitées par leurs éducateurs. Alors, ce qui était divertissant tant qu’il s’agissait de s’en prendre à l’Eglise perd soudain de son attrait. On a si bien joué avec elle que l’on pourrait se voir appliquer les solutions qu’on a défendues contre elle. Jim Dwyer, dans le New York Times, pose la question : « la ville de New York pourrait-elle être poursuivie pour des faits d’abus sexuels intervenus il y a des dizaines d’années par les professeurs des écoles publiques ? Et qu’en est-il des médecins ou des personnels hospitaliers ? Des officiers de police ? Des travailleurs sociaux ?». On sourit moins, et les lobbyistes s’agitent. Sans rire, ils posent la question : « Comment pourrait-on revenir 40 ans en arrière et certifier ce qui est arrivé ? Les témoins, les autorités responsables et même le ou la responsable des faits pourraient être morts !». Oui, en effet. Que ce soit en 1970 ou en 1928.
Et chez nous, que pourrait-il donc arriver ?

Et l’Education nationale ?

Que pourrait-il arriver lorsqu’on lit par exemple que si elle a pris des mesures, dans le même temps que l’Eglise, l’Education Nationale se contentait il y a seulement 13 ans, de muter les professeurs pédophiles, sans que rien ne soit indiqué sur leur dossier : « si elle préférait tenir secrètes ses mauvaises histoires, l’Education nationale a-t-elle, au moins, lavé son linge sale en famille ? Même pas. Les enseignants « à problèmes » sont juste mutés. Sans transmission d’information: on appelle ça se refiler le mistigri. » Que pourrait-il arriver lorsque l’on devine, malgré le silence maintenu, que les cas sont bien plus nombreux qu’avec les prêtres?

Non, la pédophilie n’est pas un « problème catholique ». C’est un problème que l’Eglise partage avec l’ensemble de la société. Elle en est toutefois quantitativement moins affectée et elle le reconnaît davantage que d’autres. Sa mise en cause acharnée, et le silence maintenu sur les faits à décharge, révèlent toutefois l’ampleur du traitement de faveur qui lui est réservé.



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