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Chrétiens d’Algérie: une histoire tumultueuse

La béatification récente de catholiques en Algérie cache des tensions permanentes


Chrétiens d’Algérie: une histoire tumultueuse
Béatification de 19 religieux catholiques en Algérie, 8 décembre 2018. SIPA. 00887555_000011

Dix-neuf religieux catholiques, dont les sept moines de Tibhirine, ont été béatifiés en Algérie, le 8 décembre dernier. Ce geste symbolique cache une histoire pour le moins perturbée entre l’Algérie et les chrétiens.


Le 8 décembre 2018 était une date importante dans le débat interreligieux. Pour la première fois de l’histoire, des chrétiens ont été béatifiés en terre musulmane. La basilique Santa Cruz d’Oran a vu s’élever au rang de « bienheureux  » 19 religieux catholiques assassinés durant la « décennie noire » (1991-2002) dont les tristement célèbres moines de Tibhirine.

Un long dimanche de fiançailles 

Le christianisme au Maghreb est pourtant une longue histoire… On sait peu de choses de l’introduction du christianisme à Carthage comme dans les villes côtières. Plusieurs saints s’y disputent l’évangélisation tels que Pierre, Simon le Cananéen ou Marc. Cependant, l’existence de communautés juives à Volubilis, Carthage ou Oea laisse envisager, comme l’écrivait l’historien André Mandouze, la présence de communautés chrétiennes dans ces villes, bien avant les campagnes de conversions organisées par les envoyés de Rome.

Comme toujours, le christianisme s’implante en fonction de la romanisation. La conversion de Constantin fait le reste. Mais il est essentiellement concentré sur les côtes, loin des territoires montagneux ou semi désertiques du sud. A cette époque, dans cette région, naît l’un des plus grands penseurs chrétiens tous siècles confondus, l’un des quatre « pères de l’Eglise » (avec Grégoire, Jérôme et Ambroise), le fils d’un décurion romain et d’une berbère convertie, Augustin d’Hippone (l’actuelle Annaba).

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Un universalisme en remplaçant un autre, les invasions arabes et l’islamisation de la région ne laissent pas de place à un christianisme qui s’est peu appuyé sur le monachisme, comme ses cousins coptes, pour maintenir une emprise sur les populations berbères. Hormis quelques communautés au nord de l’actuelle Tunisie, on ne retrouve plus aucune trace d’un christianisme maghrébin de type indigène au XIVe siècle.

C’est la conquête française qui marque le retour du christianisme en terre algérienne (l’Etat-nation n’existant pas, rappelons-le, en 1830). Le diocèse d’Alger est créé en 1838 et le consistoire protestant d’Alger l’année suivante. Ordre est donné au départ de ne pas chercher à convertir des populations que l’on ne veut pas « brusquer ». Quelques conversions vont tout de même avoir lieu, soit de manière insidieuse, soit par attrait, mais elles sont rares, essentiellement concentrées en Kabylie. En réalité, la religion cristallise les communautés. La culture fataliste et mystique des « indigènes » – le mektoub – et leur absence de vision politique à moyen terme, va enfermer ces populations essentiellement rurales dans un triptyque identitaire insoluble: « langue orale, sexe et religion », comme le décrit l’historien Daniel Rivet.

De l’autre côté, on observe chez les populations européennes une rechristianisation de la part d’individus parfois très éloignés de la religion dans leur région d’origine. Hobereaux du sud-ouest, communards de 1870, optants d’Alsace-Moselle en Kabylie puis plus tard Levantins, Catalans, Suisses romands, Napolitains ou Maltais, toutes ces populations sont confrontées, comme tout pionnier, à un quotidien de dur labeur dans un environnement hostile. Le retour vers le Christ est vécu comme un marqueur identitaire fort. On recherche moins, il est vrai, l’aventure spirituelle.

Certains prêtres jouent également un rôle politique de première, comme le cardinal La Vigerie, archévêque d’Alger dont le fameux « toast » (1890) annonce le ralliement des catholiques à la République. L’abbé Lambert est le maire emblématique d’Oran: pro-franquiste, dans une ville essentiellement composée d’Espagnols, puis vichysto-résistant.

Le divorce de la guerre d’Algérie

Arrive la guerre d’Algérie. Elle déchire les chrétiens comme l’ensemble des Français. Avec peut-être plus d’intensité. Les chrétiens progressistes, nommés vulgairement « cathos de gauches », sont les piliers de l’anticolonialisme. Bien sûr, on y retrouve aussi des trotskistes, des communistes et des républicains sincères, mais aucun autre groupe n’y a autant pris part que ce courant philosophique dès le début du mouvement. En 1951, l’écrivain Claude Bourdet se demande d’ailleurs dans France Observateur s’il y a « une Gestapo française » pour critiquer les interrogatoires musclés de la police algéroise. Qu’ils se nomment André Mandouze ou Henri-Irénée Marrou, Michel Rocard ou Georges Montaron, ils s’engagent en faveur des insurgés algériens à travers Esprit, Témoignage chrétien, contre la torture mais aussi plus « physiquement » dans les réseaux Jeanson.

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De l’autre côté, une partie de l’Eglise se radicalise. L’anticommunisme et l’esprit de croisade ravivent les « vieux démons » de Vichy, à Alger comme à Paris. Le légendaire « Capitaine Conan » de la France libre, Pierre Château-Jobert, cadre de l’Organisation Armée Secrète (OAS), termine ses jours à Morlaix, sa ville natale, dans le catholicisme traditionaliste. Saint-Nicolas-de-Chardonnay, point névralgique de la Fraternité Pie X, loue en son sein une plaque à la mémoire des « Soldats de l’Algérie Française ». Tout est dit.

Au sein de la hiérarchie algérienne, le débat est d’une rare violence: certains prennent parti pour un maintien de l’Algérie comme département français, d’autres comme l’archevêque d’Alger, Léon-Etienne Duval, prennent fait et cause pour le FLN. Les « ultras », peu avares de surnoms saugrenus (« Bensoussan », « la grande Zohra »), lui affublent celui de « Mohammed Duval ». Certains officiers de l’armée française illustrent, eux, leur foi d’une autre manière : Hubert de Séguin Pazzie et Jacques Paris de Bollardière refusent de torturer. En chrétiens, en militaires et en Français.

Indépendance et « années noires »

Depuis l’indépendance de l’Algérie (1962), les choses ont radicalement changé. Dés le congrès de la Soummam en 1956, les dirigeants du FLN ont été clairs sur l’identité de la « nouvelle Algérie » : elle doit être socialiste et musulmane. « La valise ou le cercueil » emporte aussi « sa » croix. Peu de Chrétiens restent sur place. Aucun juif ou chrétien ne fait partie des divers gouvernements, pas même le dernier maire d’Alger, le libéral Jacques Chevallier, resté en Algérie après l’indépendance. Sa fille, l’historienne Corinne Chevallier vit encore à Alger aujourd’hui.

Nombres de pères blancs, jésuites, bonnes sœurs vivent après l’indépendance dans la « nouvelle Algérie ». Ils font du social, s’occupent des plus pauvres, en ville comme à la campagne. Ils s’intègrent au tissu local. Et, ironie suprême, au moment où le président Houari Boumédiène, en s’appuyant sur des clercs formés en Egypte, opte pour l’arabisation dans les écoles, l’élite envoie ses enfants dans les écoles catholiques tenues par les pères Blancs et les jésuites. L’école des jésuites d’Alger accueille les enfants d’Hydra, comme le petit frère de Boumédiène. Actuellement, le président des anciens élèves de l’école n’est autre que… Saïd Bouteflika.

Les « années noires », de 1991 à 2002, sont douloureuses pour les chrétiens d’Algérie. La majorité des Français et des chrétiens qui y sont encore rentrent en métropole. Ceux qui se résignent à rester sont la cible de ce fascisme vert. Dans la nuit du 26 au 27 mars, le Groupe islamique armée (GIA) – branche militaire du Front islamique du Salut (FIS) – enlève 7 moines cisterciens à Tibhirine dans la région de Médéa. Malgré toutes les tentatives faites par Paris – via son maître-espion Philippe Rondot – et le Vatican, ces hommes qui jusque-là avaient soigné des combattants du GIA comme ils soignaient les populations locales avec lesquels ils vivaient en harmonie, sont exécutés. Cette tragédie a beaucoup marqué les Français et les chrétiens en général. Les moines sont enterrés à Tibhirine selon les vœux des responsables locaux. Le 1er août 1996, c’est au tour de l’évêque d’Oran Pierre Claverie, originaire de Bab-el-Oued, d’être assassiné lors d’un attentat.

Eléments perturbateurs

Aujourd’hui, les catholiques seraient encore 45 000 en Algérie. Essentiellement des fonctionnaires étrangers, plus quelques familles européennes installées de longue date. Depuis les années 2000-2010, les rapports sont crispés entre le christianisme et l’Etat musulman. Les visas pour les prêtres catholiques sont complexes à obtenir. La géopolitique locale et le poids de l’islamisme dans la région en sont la première raison. En février 2007, les wilayas (préfectures), en application d’une directive venue d’Alger, ont invité les catholiques à quitter le pays en raison de menaces d’Al-Qaida au Maghreb. Autre raison, face à un pouvoir hégémonique, toute contestation, qui plus est menée par une religion minoritaire, apparaît pour le gouvernement comme une tentative ouverte de déstabilisation. En janvier 2008, Pierre Wallez, un prêtre, est condamné à un an de prison avec sursis pour avoir célébré une messe de Noël avec des migrants subsahariens. Dans ce contexte, la béatification du 8 décembre est plus qu’un symbole.

Mais le cas des catholiques apparaît comme un épiphénomène, tant les rapports apparaissent compliqués et tendu avec d’autres courants religieux. Car, aujourd’hui, le renouveau du christianisme n’est plus dans le catholicisme vieillissant. Depuis une quinzaine d’années, les églises évangéliques pullulent en Kabylie. Une région qui pose énormément de problèmes à Alger depuis l’indépendance : berbérophone, autonomiste, et plus si affinités. La Kabylie, est une région que la colonisation française a toujours regardée d’un autre œil, en surjouant la dichotomie « arabe-berbère ». Une région qui s’est révoltée à de nombreuses reprises, comme en 2001, lors du « Printemps berbère ». Alors quand la région de Tizi-Ouzou, et à un degré moindre de Bejaia et d’Oran, voit ces conversions à l’évangélisme augmenter, le pouvoir se méfie. Ils seraient aujourd’hui entre 50 et 100 000 fidèles répartis en une dizaines de chapelles. La religion musulmane interdisant l’apostasie -tendance décuplée par l’influence grandissante de la salafiya – ces transferts de religion sont très mal vus par la population. Le gouvernement a radicalisé son discours et multiplié les arrestations. Un directeur et un enseignant accusés d’avoir utilisé une salle de classe pour faire de l’évangélisation ont même été radiés de l’éducation nationale. Mais les mesures ont aussi touché l’Église catholique, dont la présence discrète n’avait jamais posé problème. Une paranoïa anti-chrétiens s’est installée au plus haut niveau de l’Etat.

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Le fonctionnement bien particulier de ces évangélistes n’arrange rien. Pratiquant comme les francs-maçons le culte du secret, ces nouveaux croyants ne laissent guère transparaître leur appartenance à telle ou telle église. Les messes se font dans des villas privées à l’abri des regards. Ces églises apparaissent à la fin des années 80, parallèlement aux intégristes islamiques. Des prédicateurs français mais surtout américains commencent à arpenter le pays, comme dans le reste du monde. Sponsorisées par des fonds américains, les églises évangélistes créent une véritable angoisse. Car ces églises aiment communiquer, se montrer. Elles sont clairement prosélytes. Il existe plusieurs chaînes de télévision et radios chrétiennes évangéliques. Comme Al-Hayat, diffusée par satellite et qui émet depuis Chypre. Ou bien encore Radio Kabyle, une station de Trans World Radio (TWR), organisation évangélique basée aux États-Unis qui a pour objectif de « faire connaître le Christ au monde grâce aux médias de masse ». Face à un phénomène qu’il a du mal à gérer, l’Etat réprime. Le 16 mai, Nourdine, un habitant de Tiaret près d’Oran, a été condamné à verser 10 000 dinars à l’Etat. Soit cinq fois le salaire mensuel de base en Algérie. Son méfait ? Avoir été arrêté lors d’un barrage routier, non pas avec 3 kilos de drogue mais avec trois bibles dans sa voiture !

Comme la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Empire ottoman l’ont connu en leur temps, les périodes de crise politique, comme économique, sont propices à la suspicion et à l’instrumentalisation. L’apparition de ces évangélistes prosélytes dans une région instable crée donc des tensions. « Madame d’Afrique » trône toujours au dessus de Saint-Eugène sous le regard routinier des Algérois. Mais pour combien de temps ?

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