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Carnac: le coup du menhir

Polémique après la déstruction de 39 menhirs pour la construction d'un magasin "Mr. Bricolage"


Carnac: le coup du menhir
Image d'illustration Unsplash

Alerte, terrain miné! La construction d’une enseigne de bricolage, entraînant la destruction d’une trentaine de petits menhirs, à proximité du site de Carnac, dans le Morbihan, suscite l’indignation. Le maire est depuis copieusement insulté sur les réseaux sociaux, alors que les experts s’interrogent sur la valeur archéologique de ce qui a été détruit.


Il y a des informations qui, quand elles vous parviennent, peuvent vous faire perdre un boulon. L’affaire du Mr. Bricolage, construit en lieu et place des mégalithes de Carnac, en fait partie. Dans cette affaire, ce qui a été perdu en patrimoine préhistorique a été gagné en connaissance de notre propre époque – et ça n’est pas ragoutant !

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Il est vrai qu’à Carnac, ce ne sont pas les menhirs qui manquent. Le plus célèbre des sites est protégé depuis 1889. Il restait toutefois quelques mégalithes sur le chemin de Montauban, identifiés par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) et qui faisaient l’objet d’une candidature au Patrimoine mondial de l’Unesco. Jusque-là, ils avaient échappé à la guerre du feu, à deux guerres mondiales et à l’appétit des promoteurs immobiliers et des vendeurs de tournevis. Certes, il faudrait être un militant fanatique du FLB pour prétendre que ces cailloux dressés depuis 7 500 ans ont un jour fourni de l’électricité à nos ancêtres les Gaulois. Pourtant, les conditions techniques de leur érection et leur signification spirituelle fascinent. En dressant ces pierres, les autochtones ont certainement voulu tutoyer les dieux (qui valent bien les nôtres). En cela, elles ont un caractère sacré, et leur charge symbolique n’est pas loin de s’apparenter aux flèches des églises romanes et des cathédrales. De bien petites choses, me direz-vous, en comparaison du besoin pressant de trouver un dimanche clous, marteaux, scies, clés à molette…

La France moche

On avait cru que grâce à Prosper Mérimée, la sensibilité aux monuments historiques et aux vieilles pierres avait progressé. On avait cru loin derrière nous l’époque de la Soupe au chou où des badauds s’enthousiasmaient à l’ouverture d’un Mammouth. C’était faire peu de cas de ce que sont devenues les entrées de ville et les rocades, pleines à craquer de magasins surdimensionnés aux couleurs criardes, annoncés en amont par une pléthore de panneaux publicitaires.

Image d’illustration D.R.

L’affaire de Carnac n’est jamais que la manifestation la plus absurde, la plus hideuse, de cette dérive. C’est contre cette catastrophe que s’élève notamment Olivier Saladin, ancien des Deschiens.

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Chaque année, un prix est décerné par « Paysages de France » pour récompenser un patelin de la « France moche ». A l’avenir, Carnac pourra peut-être y prétendre, grâce à la légèreté de son maire, M. Olivier Lepick, qui a laissé les coups de pioche venir à bout de l’insolente érection desdits cailloux. Avant le possible classement de l’Unesco, la mairie semblait bien pressée de vendre du bâti à tout-va. Car après, ça ne sera plus possible. Plein de bonhomie, l’édile assure : « des sites détruits car ils n’ont pas été repérés, il y en a des listes, et il y en aura encore ». Dans son livre sur Sandrine Rousseau, Eric Naulleau a expliqué qu’il y avait moins une différence de nature que de degrés entre les militants écologistes qui vandalisent les œuvres d’art pour sauver la planète et… les Talibans qui détruisaient les Bouddhas de Bâmiyân en 2001. On pourrait se demander ici si les Talibans ne sont pas plus défendables que certains de nos élus: dans leur vision la plus monomaniaque possible du monothéisme, ceux-ci avaient peut-être le sentiment de faire le bien, de faire de la surface de la terre quelque chose qui ressemblait un peu plus au royaume d’Allah en dynamitant ces représentations idolâtres. Dans Humain, trop humain, Nietzsche écrit : « quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire ce qui lui semble bon (utile) suivant son degré d’intelligence, son niveau actuel de raison ». On se demande en revanche quel idéal a bien pu animer le maire de Carnac et les investisseurs complices au moment de détruire les mégalithes bretons…

« Un Macdo à Lascaux ! »

En Bretagne, ces derniers mois, des mouvements plutôt à droite ont mené la fronde contre l’implantation de migrants, à Callac (Côtes d’Armor) et à Saint-Brevin (Loire-Atlantique). Il n’aurait pas été malvenu de s’élever aussi contre la construction de ce Mr. Bricolage. Dans l’ambiance de nervosité ambiante, il ne faudrait pas embêter de trop le maire de Carnac, on a vu que ça pouvait mal tourner. Il faudrait plutôt réveiller l’esprit de Jalons cher à Basile de Koch et organiser une manifestation dans la petite ville du Morbihan, qui tournerait en dérision M. Lepick. Elle réunirait écologistes sincères, réactionnaires, gens de droite amoureux des vieux cailloux et gens de gauche hostiles à l’argent-roi, lesquels enterreraient pour une journée la hache de guerre et se retrouveraient autour de la défense du patrimoine et de ces « lieux où souffle l’esprit ». Elle serait le point de départ d’un vaste mouvement qui encouragerait la destruction de toutes ces vieilleries bâclées, de ces fresques jamais finies. Les mots d’ordre, sur des banderoles géantes, accrochées à la mairie, pourraient être : « Un Gamm vert à Chauvet ! », « Un Macdo à Lascaux ! », « un motel à Tautavel ! ».




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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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