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Pourquoi le populisme hante l’Europe


Pourquoi le populisme hante l’Europe
Nigel Farage, Marine Le Pen, Beppe Grillo, Pablo Iglesias,Viktor Orban
Nigel Farage, Marine Le Pen, Beppe Grillo, Pablo Iglesias,Viktor Orban

Causeur. La courte victoire du camp du « Leave » au Royaume-Uni est-elle celle du populisme ?

Marco Tarchi[1. Professeur de sciences politiques à l’université de Florence, Marco Tarchi est l’un des plus grands spécialistes européens du populisme.] : On peut considérer le Brexit comme une victoire de la mentalité populiste d’une part, car le vote des électeurs a sanctionné le rejet d’une autorité (celle de l’Union européenne) extérieure au peuple britannique. D’autre part, parce que les citoyens britanniques ont exprimé une très forte critique de la classe politique et de ses choix dans des domaines au cœur des préoccupations des populistes : respect de la souveraineté nationale, contrôle des frontières, arrêt des flux migratoires.[access capability= »lire_inedits »] Pendant la campagne référendaire, les fauteurs de Brexit ont surtout utilisé des arguments souverainistes qui recoupent partiellement les idées et les suggestions populistes mais ne s’y identifient pas complètement.

Comment définissez-vous la « mentalité populiste » ?

Cette mentalité considère le peuple comme une totalité organique artificiellement divisée par l’action de forces hostiles, lui attribue des qualités éthiques d’ordre naturel, exalte ses vertus (réalisme, labeur, intégrité morale) en les opposant aux vices des oligarchies politiques, économiques et culturelles (hypocrisie, manque d’efficacité, corruption). De surcroît, en tant que source de légitimation du pouvoir politique, le populisme revendique la suprématie du peuple, au-dessus de toute forme institutionnelle de représentation et de médiation.

C’est peut-être là que le bât blesse : dénoncer les élites ne suffit pas à proposer une alternative crédible. Après la démission du Premier ministre David Cameron, aucun des principaux leaders du « Leave » (Boris Johnson, Nigel Farage) ne semble prêt à prendre la relève. On sent même les vainqueurs en plein désarroi, prisonniers de leur démagogie comme de leur court-termisme. L’impréparation des Brexiters révèle-t-elle les limites du populisme ?

Je ne crois pas que Johnson ni a fortiori Farage aient cru un seul instant que le résultat du référendum leur ouvrirait un accès immédiat au pouvoir. Ils connaissent bien les procédures institutionnelles britanniques et ils savaient qu’un succès du « Leave » (d’ailleurs assez imprévisible un mois avant le vote) ne provoquerait pas de nouvelles élections législatives. Ceci dit, le référendum a montré l’incapacité des deux partis majeurs – travailliste et conservateur – à rassembler leurs électeurs traditionnels sous leurs bannières lorsqu’un choix dépasse le clivage gauche/droite. Cela donne à l’Ukip de grandes perspectives, mais l’oblige également à convaincre l’opinion qu’une fois son objectif « statutaire » – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne – atteint, il peut offrir des solutions aux nombreux problèmes auxquels un gouvernement doit faire face. Il s’agit donc de passer du stade de la protestation à celui des propositions concrètes. L’immigration est un thème majeur dans cette perspective, mais ce n’est sans doute pas le seul.

Justement, le rejet de l’immigration est-il la principale cause de la vague populiste mondiale (Ukip, FN, FPÖ, Mouvement 5 étoiles, Podemos, Donald Trump) ou faut-il y voir l’effet de la crise économique ?

Contrairement à ce qu’on a fait pendant des décennies, il ne faut pas considérer les partis populistes comme des mouvements monothématiques. Ces mouvements sont plutôt des catch-all parties, des « attrape-tout », qui, n’étant pas conditionnés par les impératifs rigides d’une idéologie, peuvent, selon les cas, les circonstances et les caractéristiques de leurs leaders, orienter les axes de leur action et de leur propagande dans de multiples directions. Il peut s’agir de fustiger les conséquences négatives de l’immigration, l’emprise des puissances économiques sur la classe politique, la corruption de la classe politique, l’indifférence des « gens d’en haut» aux difficultés économiques et sociales des « gens d’en bas », les délocalisations qui alimentent le chômage, etc.
Mais par-delà de fortes différences de sensibilités et de programmes entre populistes « de droite », populistes « de gauche » et populistes « tout court » comme Beppe Grillo, j’observe l’existence d’un fond commun.

Lequel ?

C’est ce que Dominique Reynié appelle le « populisme patrimonial ». Son succès s’appuie sur la promesse de défendre simultanément deux patrimoines hérités : le niveau de vie et le mode de vie. Les partis qui n’insistent que sur l’un ou sur l’autre de ces objectifs n’obtiendront pas de grands résultats.

Mêler antilibéralisme et conservatisme, c’est l’équation magique de Marine Le Pen et Beppe Grillo, tandis que Farage reste profondément libéral, à l’image du Royaume-Uni. Alors que l’eurocommunisme est mort et le fédéralisme mal en point, le souverainisme transcourants qu’incarnent Grillo et Farage est-il paradoxalement la dernière idéologie européenne ?

Au Parlement européen, le Mouvement 5 étoiles et l’Ukip siègent à l’intérieur du même groupe, « Europe de la liberté et de la démocratie directe » – que les députés britanniques seront forcés de quitter lorsque le Royaume-Uni aura mené à terme la procédure de sortie de l’Union. Or, si ce groupe rassemble en majorité des partis eurosceptiques, leur alliance ne s’est pas nouée autour de la lutte anti-UE, mais d’autres sujets d’intérêt commun aux populistes tels que ceux que j’ai cités. Reste que les erreurs des institutions européennes ont tant et si bien affaibli le camp des europhiles et des euro-enthousiastes qu’il ne peut plus y avoir d’idéologie européenne.

Peut-on malgré tout imaginer la naissance d’un nouvel ensemble paneuropéen sur les décombres de l’UE ?

On peut aimer les cultures que l’Europe a accueillies en son sein au fil des siècles, voire envisager un retour de l’Europe, en tant que « grand espace », à un rôle de premier plan dans un monde multipolaire, sans pour autant réduire les potentialités du continent à l’action de l’Union. Il suffirait de voir naître une volonté d’autonomie et de puissance européenne. Malheureusement, je n’en vois aucun signe annonciateur ![/access]

Été 2016 - #37

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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