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Bouteflika for ever !


On entend, çà et là, quelques murmures réprobateurs relatifs à la manœuvre d’Abdelaziz Bouteflika qui a fait voter par un Parlement à sa botte une modification constitutionnelle lui permettant de briguer un troisième mandat de président de la République algérienne démocratique et populaire. Mais rien de bien méchant, et il ne faut pas s’attendre à ce que le monde se lève pour faire barrage à Boutef’, tant est présente la crainte d’une nouvelle poussée islamiste en Algérie.

Ainsi, celui qui fut dans les années 1960 le plus jeune ministre des Affaires étrangères en exercice sur la planète devrait être en mesure, à soixante-douze ans, de se succéder à lui-même pour un nouveau bail de six ans. Son élection ne fait pas question, la sincérité d’un scrutin présidentiel en Algérie aujourd’hui n’ayant rien à envier à celle des élections du deuxième collège (indigènes) au temps de l’Algérie française. Il s’agit seulement d’annoncer un résultat convenable. Les scores à la soviétique (supérieurs à 98 %) ne sont aujourd’hui pratiqués que dans quelques Etats d’Asie centrale où les despotes éclairés au gaz ne voient aucune raison de modifier des pratiques aussi anciennes que commodes.

Tout l’art consiste à bricoler un scrutin de telle manière à ce que les observateurs internationaux, qui ne peuvent être partout, soient contraints de reconnaître que « dans l’ensemble » l’élection s’est déroulée dans des conditions répondant aux critères démocratiques, tout en assurant une confortable majorité au candidat de l’oligarchie au pouvoir.

Si l’on ne s’émeut guère, en France et dans le monde, des péripéties politiques qui se déroulent de l’autre côté de la Méditerranée, c’est qu’on se soucie peu aujourd’hui d’encourager les pays du Maghreb à marcher hardiment vers la démocratie, l’économie de marché et un développement à l’asiatique de leurs capacités de production.

Le projet idéaliste « grand Moyen-Orient prospère et démocratique » lancé après la guerre d’Irak par une administration Bush sous influence des néos-conservateurs s’est cassé le nez sur le réel. Et le réel, c’est que l’instauration de la démocratie suppose que la structuration des forces productives et sociales soit suffisamment avancée pour que ceux qui produisent les richesses participent à leur gestion. C’est le bon vieux No taxation without représentation qui lança la révolte des colonies américaines contre la métropole britannique.

Or, il suffit de lire la description parfaitement réaliste que donne, dans Le Monde, un ancien général, Rachid Benyellès, pour constater qu’après l’échec grandiose d’une expérience « socialiste » qui a détruit le tissu économique, agricole et entrepreneurial hérité de la période coloniale, l’économie algérienne est exclusivement fondée sur une rente pétrolière accaparée par une oligarchie politico-militaire. D’où cette situation absurde dans laquelle les entreprises chinoises appelées pour répondre en catastrophe à la pénurie de logements liée à la croissance démographique galopante ne trouvent pas de main d’œuvre locale, tandis que les chantiers français ne fonctionneraient pas sans la main d’œuvre algérienne et que des hordes de jeunes oisifs végètent dans les grandes villes du pays. Les Chinois viennent donc avec leurs ouvriers construire des immeubles pour les chômeurs algériens.

Malgré tout cela, et les frustrations que le régime incarné par l’inoxydable Bouteflika provoque au sein d’une population désemparée, il fait aujourd’hui figure de « dictateur présentable », un modèle que la communauté internationale est prête à tolérer, voire à promouvoir.

Comme son ennemi intime le roi du Maroc, et son voisin Ben Ali, Boutef’ tient en lisière des islamistes radicaux exterminés brutalement dans leur composante militaire, mais à qui le régime sous-traite l’encadrement moral de la société.

Par ailleurs, Boutef’ arbitre avec un instinct de conservation remarquable conflits et rivalités entre les diverses factions de l’oligarchie, favorisant alternativement l’une ou l’autre d’entre elles, et faisant en sorte qu’aucune tête susceptible de lui faire de l’ombre n’émerge des cercles dirigeants.

Une certaine liberté d’expression est accordée à l’opposition politique, essentiellement kabyle, et à une presse qui a acquis, à partir de 1988, une indépendance de ton remarquable. Mais l’état d’urgence reste en vigueur, limitant fortement les libertés publiques, et l’intimidation judiciaire des journalistes trop irrévérencieux est une pratique de plus en plus fréquente.

Pendant ce temps-là les « trabendistes » (vendeurs de marchandises rares acquises au cours d’allées et venues régulières en France ou en Espagne) alimentent l’économie informelle qui assure le minimum à la population démunie, et les harragas, ces jeunes sans travail, risquent leur vie en contrôlant la traversée vers le nord sur des embarcations de fortune…

Le « dictateur présentable » ne sera pas sommé de respecter les recommandations des rapports annuels des ONG pointant du doigt la corruption où les atteintes aux libertés dans le pays qu’il dirige. On lui pardonnera même quelques pratiques brutales dans la répression de ses opposants, pourvu qu’il arrive à persuader les chefs des Etats démocratiques que ces derniers ont partie liée avec le terrorisme international, ce qui n’est pas très difficile. Il lui sera assuré un siège à la commission des droits de l’homme des Nations-Unies, où il pourra tout à loisir voter en rafale des motions condamnant Israël et tonner contre les anciens colonisateurs qui ont le culot d’interdire le port du voile islamique dans les établissements scolaires publics. Le job de dictateur présentable, sans être de tout repos car les Iznogoud sont partout, reste quand même attractif. Au point qu’un vieillard malade veuille en reprendre.



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