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Benoît Duteurtre, pape d’opérette


Benoît Duteurtre, pape d’opérette

operette

Le samedi matin, après sa semaine de turbin, le bobo parisien s’en va généralement bruncher avec sa petite famille recomposée dans un bistrot branché d’un arrondissement tendance.

S’il savait, le pauvre, que cette coutume le prive de ce qui se fait de plus chic en matière de radiodiffusion, à savoir Etonnez-moi, Benoît tous les samedis de 10h30 à midi sur France Musique, il enverrait sa femme à l’aquagym, et ses mômes au club de poney. Une fois la maison vide, il déboucherait délicatement une bouteille de Quincy rafraîchie, mais pas glacée, disposerait quelques pistaches dans une coupelle ramenée de Lisbonne, et allumerait le poste à la demie pile de dix heures sur la fréquence FM de France-mu correspondant à son lieu de résidence. Je ne dis pas cela pour faire de la peine à l’excellent Emmanuel Davidenkoff qui officie auparavant, mais le silence qui précède du Duteurtre est déjà du Duteurtre, et il serait dommage de s’en priver.

Fernandel, Bourvil, Dranem, Suzy Delair, Marie Dubas, Marcel Amont, j’en passe, et des meilleurs, s’inviteront alors dans son salon. S’il se trouve que des victimes du tsunami yéyé des années soixante soient encore de ce monde, elles ne couperont pas à une invitation au cours de laquelle Benoît Duteurtre, le taulier, leur fera évoquer les heures de gloire de la chanson française. Cette propension à honorer compositeurs, musiciens et interprètes tombés dans un injuste oubli a même fait peser sur Duteurtre l’infâme soupçon de gérontophilie, une perversion que nos modernes Savonarole ne devraient pas tarder à ériger en fléau social majeur.

Ce Benoît-là traite avec le plus grand sérieux et une érudition sans faille les genres musicaux que d’autres, pour faire les malins, brocardent et méprisent pour afficher qu’ils sont, eux, les maîtres du bon goût. On se souvient, par exemple, de l’esclandre d’Alain Cuny, au festival de Cannes traitant de « bouffon » (au sens propre, pas zyva) Dario Moreno effectuant une prestation chantée devant le gratin du cinéma mondial. Avec le recul, le bouffon en question n’est peut-être pas celui qui fut ainsi désigné.

Mais le « cœur de métier » de Benoît Duteurtre, quand il n’écrit pas de romans, c’est l’opérette, et plus précisément l’opérette française, celle dont Camille Saint-Saëns disait :  » l’opérette est une fille de l’opéra-comique. Une fille qui a mal tourné. Mais les filles qui ont mal tourné ne sont pas toujours sans agrément ». Le livre [1. L’opérette en France (Fayard)] qu’il lui consacre est une réédition d’une première mouture parue en 1997, puissamment enrichie des études et rencontres effectuées par l’auteur pour la réalisation de son émission hebdomadaire, dont il vient de fêter le dixième anniversaire.

Et puis, pourquoi ne pas s’en glorifier, au risque de se faire traiter de franchouillard ou de laquais d’Eric Besson, l’opérette, ce genre musical populaire qui parodie l’opéra pour le pur plaisir du divertissement des foules est un genre musical qui est né, s’est développé, et hélas, étiolé en France pendant plus d’un siècle, du milieu du XIXème siècle jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale. De Paris, elle migra vers Vienne (Franz Lehar), Londres (Gilbert et Sullivan), New York (Broadway et les frères Gershwin) et en bien d’autres lieux où elle remplit les salles pendant des décennies. Ce n’est pas parce qu’un genre est qualifié de mineur que ceux qui l’ont illustré sont interdit de génie : nous voilà tout droit conduit à citer Jacques Offenbach, sans lequel Paris ne serait plus Paris. Mais ce n’est pas le propos de Duteurtre que de se contenter, comme beaucoup, d’encenser Offenbach pour mieux dégommer les musiciens, librettistes et acteurs qui s’y consacrèrent sans parvenir aux sommets atteints par le  » Mozart des Champs-Elysées ».

Il rend à chacun, Hervé, Lecocq, Messager, Yvain, Planquette et bien d’autres l’hommage qui leur est dû. Leur évocation réveillera chez les plus anciens d’entre nous quelques mélodies bien enfouies dans notre mémoire depuis que nous les écoutions à la TSF pendant que maman se livrait au repassage. « Poussez, poussez l’escarpolette… »  » Nous avons fait un beau voyage (bis)… « Digue, digue, digue, digue digue don, sonne, sonne, sonne, joyeux carillon… ». C’était mon rap à moi qui en vaut bien un autre.

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