Règlement de comptes à Pouff’s Corral


Règlement de comptes à Pouff’s Corral

bagarre jeunes filles Reims

Tout bel été se doit d’engendrer au moins un tube, pour que les amoureux puissent se remémorer la date de leurs premiers émois quand Alzheimer rôdera, et une polémique d’ampleur nationale pour réveiller des rédactions alanguies en période de canicule. Depuis quelques années, la polémique était fournie par l’une ou l’autre des prestations (les snobs disent « propositions ») théâtrales présentées au festival d’Avignon, une défécation collective d’acteurs dénudés devant le Palais des papes, par exemple. La nullité auto-satisfaite du nouveau directeur du festival, Olivier Py, spécialiste du rapt d’œuvres classiques pour fourguer en douce ses obsessions idéologiques, rend toute polémique culturelle sans objet : on ne se dispute pas à propos du néant.

Alors, sous réserve qu’une grosse bonne querelle médiatisée n’éclate pas d’ici la fin août, il faudra se contenter, pour le millésime 2015, de la bagarre de Reims, fait divers champenois qui a produit pas mal de bulles médiatiques et d’agitation sur les réseaux sociaux. Les faits, d’abord, tels qu’ils furent rapportés par le quotidien régional L’Union. Mercredi 22 juillet, une partie de la jeunesse rémoise, écrasée de chaleur, était venue prendre le frais au parc Léo Lagrange (merci le Front populaire !), agréable espace vert situé non loin du centre-ville. Trois copines dans la fleur de l’âge, belles et délurées, se font dorer au soleil seulement vêtues d’un mini-short en jean et d’un soutien-gorge de maillot de bain. Vint à passer un groupe formé de cinq jeunes filles, âgées de 15 à 24 ans. A la vue des bronzeuses, l’une d’entre elles dit à ses compagnes, suffisamment fort pour que l’on puisse l’entendre alentour, que jamais, elle, ne se laisserait aller une telle exposition de son corps dans un lieu public. Puis elle se retourne vers les « dénudées » et leur lance : « Allez-vous rhabiller, c’est pas l’été ! » Il n’a pas échappé à l’interpellée que cette injonction est proférée par une jeune fille visiblement en surpoids, et la réponse fuse : « Faut dire que toi, avec ton physique de camionneur… »  On reconnaîtra là le schéma classique du duel agonistique entre pouffes, qui s’arrête généralement lorsque la provision d’insultes est épuisée. Or, il apparaît que l’infériorité langagière du groupe des cinq est telle que l’insulte envers la grosse ne peut être réparée que par l’usage de la force physique. L’affaire tourne donc au crêpage de chignon force 6, car l’agressée ne se laisse pas faire, ce qui produit une mêlée générale où les gnons pleuvent comme au marché de Brive-la-Gaillarde visité par Georges Brassens. Les combattantes sont séparées par les policiers qui emmènent tout ce beau monde à l’hôpital pour les deux plus amochées, et au poste pour les autres. Résultat des courses : trois jours d’incapacité de travail pour l’agressée, quatre jours pour l’agresseuse (agresseure ?), mises en examen pour les cogneuses, à l’exception de l’une d’entre elles, mineure, placée sous le statut de témoin assisté. Comment ce fait divers, dont la banalité est flagrante, a-t-il pu prendre une dimension nationale, alors que des bastons autrement ravageuses restent confinées dans les colonnes de nos éminents confrères de la PQR ? Il aura suffi d’une petite phrase du journaliste de l’Union chargé de l’histoire pour que toutes les « sphères » (Twitto- réaco- gaucho-) se mettent à carburer plein pot. La jeune fille en short jeans et soutif aurait été « effarée par un tel discours aux relents de police religieuse », et se serait rebiffée en taclant verbalement son interpellatrice. En utilisant la prosopopée[1. Figure rhétorique consistant, pour le rédacteur, à se mettre dans l’état d’esprit d’un acteur, de son récit, et d’en reproduire les pensées supposées.] pour éclairer son propos, et proposer un début d’interprétation de l’affaire, le journaliste s’est mis dans un mauvais cas, car rien, dans l’état des informations fournies par la police et la justice, ne permet de conférer une dimension religieuse à cette querelle de jeunes filles. En fait, cette formulation relevait du sous-texte que l’air du temps impose au discours public, donc aux rédacteurs de quotidiens locaux traitant d’affaires mettant en cause des acteurs issus de la diversité. Lorsqu’il ne s’agit pas de crimes graves, l’origine des perpétrateurs de délits mineurs ou d’incivilités répétées n’est pas indiquée dans les comptes rendus de presse, par un louable souci de ne pas stigmatiser des communautés entières à cause des agissements de quelques-uns. Sauf que cela ne trompe personne. Gommer la dimension culturelle (et pas forcément religieuse) du conflit qui a opposé les  deux groupes de demoiselles contribue à accroître le malaise général. Tout le monde sait de quoi il retourne quand des « jeunes » font brûler des bagnoles le 14 juillet dans des quartiers bien connus pour les incivilités à répétitions qui s’y produisent.

On voudrait donc nous faire passer la chicore de Léo-Lagrange pour une version moderne, donc féminisée, de  l’affrontement des Longeverne et des Velrans immortalisée dans le roman de Louis Pergaud, La guerre des boutons. Décrire un épisode houellebecquien avec les mots d’un roman picaresque rural du début du siècle dernier expose à des désagréments, et le journaliste de l’Union, comme l’âne de la fable de La Fontaine, s’est vu accuser de tous les maux pour avoir suggéré l’aspect ethnico-religieux de la querelle en assimilant les cogneuses à la police religieuse sévissant en Iran ou dans les territoires conquis par Daech. L’excellente chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, commise par sa rédaction à la curée contre  l’emballement médiatique et politique déclenché par cette affaire – les réactions offusquées ont surgi comme l’éclair de l’ensemble de la sphère politique, du FN à SOS racisme – divulgue, enfin, les noms des principales protagonistes : Inès Nouri, Zohra Karim, Hadoune Tadjouri (les cogneuses) et Angélique Slosse (la cognée qui s’est défendue). Les juges de Reims ont alors beau clamer que « ni les auteures, ni la victime des coups n’ont fait état, lors de leurs auditions d’un mobile religieux ou d’un mobile moral qui aurait déclenché l’altercation », il est impossible de réduire ce fait divers à une simple explosion de violence pubertaire… Deux mondes se sont bel et bien affrontés dans un parc public : le trop plein de frustration d’une arabe trop grosse, donc doublement dominée dans l’espace symbolique bourdivin, a déclenché notre polémique de l’été.

*Photo : MICHEL GANGNE/AFP



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