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Autobulle


Depuis quelques mois, la ville de Paris se prête à une expérience particulièrement innovante. Après avoir implanté avec succès le service de location de vélocipèdes dénommé Vélib’, qui permet aux parisiens de s’encrasser plus sûrement les bronches et de visiter plus régulièrement les services des urgences de la capitale, la mairie de Paris a donné le feu vert à l’installation des bornes Autolib’.

Ce service de location de véhicules individuels électriques et écologiques offre la possibilité d’échapper aux contraventions, aux dégradations et aux longues errances en quête d’un espace de stationnement qui affligent nécessairement tout conducteur parisien. Ainsi, un peu partout sur les trottoirs de Paris, ont éclos de petits abris en verre et en métal aux formes bulbeuses et sympathiques renfermant le système d’accès au service de location des Bluecar, les petites voitures électriques sagement garées tout autour de la borne d’emprunt, le long des trottoirs.

On pourrait penser que cette initiative innovante laisserait, dans un souci d’avant-gardisme et de modernité, toute latitude au consommateur pour accomplir les opérations nécessaires à la location d’une Bluecar, grâce à une interface informatique à la fois ergonomique, ingénieuse et fun. Ce serait malheureusement faire peu de cas de l’indécrottable passéisme de l’homme de la rue, si démuni et si désorienté par la modernité ludique de toute initiative un tant soit peu innovante.

Il a donc fallu conserver une place, certes réduite mais encore importante, au facteur humain, et c’est donc pour éviter que l’usager potentiel n’ait pour seul interlocuteur qu’une machine, que l’on a intégré à chaque borne, sous chaque bulle de verre, en plus de l’interface automatisée, de l’écran digital, du clavier et de la porte coulissante, un préposé dont la périlleuse mission est d’aider l’utilisateur encore néophyte à faire ses premiers tours de roues dans le monde d’Autolib sans que rien de fâcheux ne vienne remettre en question la légitime satisfaction qu’il pourra retirer de cette nouvelle forme de consommation durable.

Pour le moment, le facteur humain que j’observe dans sa petite guérite Autolib, depuis le trottoir d’en face, se gratte le nez et semble bien seul, aucun usager potentiel ne s’étant encore manifesté. Intrigué par la vue de ce petit édifice en verre et en métal apparu dans cette rue que je traverse fréquemment, je me suis arrêté pour observer quelques minutes les faits et gestes du préposé Autolib affecté à ce poste et tenter de comprendre le rôle assigné au facteur humain dans cette nouvelle entreprise.

Dans un premier temps, je suis forcé de reconnaître que mon préposé ressemble à un facteur : il est vêtu d’une veste d’un bleu postal, dont l’aspect officiel se trouve rehaussé par quelques bandes réfléchissantes. A la rigueur, son costume pourrait se rapprocher de celui, rouge mais également garni de bandes réfléchissantes, des agents de la RATP qui, sur l’infâme ligne 13, doivent veiller au bon empaquetage des travailleurs pendulaires dans les rames de métro aux heures de pointe.

Lui en revanche, n’empaquette personne, mais est enfermé, chargé d’attendre les clients qu’il devra guider à travers les méandres de la réservation automatisée. Enclos dans sa petite bonbonnière de verre et de métal, doucement éclairée par un néon bleuâtre, il se gratte toujours le nez, tourne un peu le visage en biais vers les passants à travers la vitre puis se saisit d’un exemplaire de journal sur une pile qui a été disposée là à l’usage…à l’usage de qui d’ailleurs à part le sien ? Le journal l’intéresse peu et il le remet sur la pile après un examen dubitatif d’une dizaine de secondes de la première page.

Il a l’air un peu triste, un peu désoeuvré, il tourne en rond, c’est-à dire sur lui-même dans l’espace étroit qui lui est alloué. De temps à autre, il regarde à nouveau à l’extérieur de sa bulle de verre les gens qui passent et qui pourraient être des clients mais qui pour le moment restent des passants. Lui-même ne sort pas et demeure dans son petit enclos, reprenant inlassablement le fil de ses micro-pérégrinations solitaires et circulaires. A un moment, ayant achevé sa minuscule circumnavigation à l’intérieur de sa cabine, il sort un téléphone de sa poche, dont il consulte d’un air tout aussi peu convaincu l’écran luminescent, avant de le ranger, puis de le ressortir à nouveau à la hâte pour pianoter des ordres ou un appel au secours à destination d’un correspondant mystérieux.

Je remarque que l’ergonomie des lieux ne tolère pas l’avachissement – un coin de métal poli et surélevé qui permet de poser des journaux, de menus objets ou un quart de fesse -, notre homme est donc condamné à la station debout ou peut à la rigueur se jucher sur le socle métallique en laissant pendre ses jambes dans le vide. L’homme est un peu corpulent et porte une paire de lunettes qu’il rehausse de temps à autre d’un geste inconscient. Ainsi perché sur le petit remblais de métal avec ses pieds qui battent l’air, son dos arrondi et son air maussade, il offre le spectacle touchant d’un gros enfant qu’on a mis au coin pour avoir piqué une fois de trop dans le pot de confiture. Pour un peu, j’irai le voir pour lui proposer de faire une partie de billes en douce. Mais il me prendrait sans doute pour un demeuré, ou pire, pour un client.

C’est un peu comme si on avait disposé sur le trottoir un bocal contenant un gros type maussade habillé en postier en guise de poisson rouge. A travers ce gros téléviseur, je deviens moi-même le spectateur d’une nouvelle émission de télé-réalité diffusée en pleine rue. Adossé sur un rebord de fenêtre dans la même position que mon préposé Autolib, je le regarde avec fascination ne rien faire et attendre l’heure de sa délivrance, dans sa bulle, offert au regard de tous, mais tout de même soustrait au temps humain par une mince paroi de verre. Je deviens moi aussi graduellement prisonnier et j’attends sans rien faire qu’il se passe quelque chose dans le petit royaume du préposé Autolib. Mais il n’arrive rien, décidément, et il commence à pleuvoir. Alors je change de chaîne et je m’en vais. A pied.



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