Commémoration de la libération d’Auschwitz : l’Europe et la Russie divorcent


Commémoration de la libération d’Auschwitz : l’Europe et la Russie divorcent

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La commémoration du 70ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz a donné lieu à une cérémonie très forte et émouvante, du fait de la présence de 300 survivants du camp venus du monde entier. Une dizaine de chefs d’états et de têtes couronnées, ainsi que les représentants de très nombreux pays, ont également fait le déplacement, mais le président russe Poutine brillait par son absence. Le divorce progressif entre les pays occidentaux et la Russie trouverait-il ici un point symbolique de non-retour ? C’est la question que l’on peut se poser, lorsque l’on entend que les autorités polonaises ne souhaitaient pas spécialement voir Vladimir Poutine poser le pied sur leur sol, et que le chef de la diplomatie polonaise a commis l’erreur grossière d’affirmer que le camp d’Auschwitz devait sa libération aux Ukrainiens, alors que l’unité de l’Armée rouge dite « 1er front d’Ukraine », qui est arrivée sur les lieux le 27 janvier, était composée de soldats de multiples nationalités de l’Union soviétique. L’ouverture des archives soviétiques dans les années 1990 et 2000 a permis aux chercheurs de mieux appréhender le caractère apocalyptique de la guerre en URSS. Comme la lecture des ouvrages scientifiques, celle du roman Vie et Destin écrit par le correspondant de guerre juif soviétique Vassili Grossman suffit à nous plonger dans cette horreur.

Dans le cadre d’une bourse d’études en 1988, j’ai eu l’occasion de passer trois jours à Stalingrad (rebaptisée Volgograd en 1961), la ville martyre qui a fait basculer le cours de la guerre fin 1942-début 1943. Toutes les heures, entre 8 heures et 22 heures, les autorités de la ville diffusaient de la musique funèbre pendant une minute. C’était une façon typiquement soviétique de rappeler aux habitants et aux visiteurs que la ville reposait sur du sang et des cendres. Mais, il n’y avait pas même pas besoin de cette musique sinistre pour ressentir la lourdeur oppressante du passé. Alors quoi ?  Aujourd’hui, les pays occidentaux ont-ils vraiment l’intention de tourner le dos au pays qui a payé le plus lourd tribut en termes de morts civils et militaires entre 1941 et 1945 ?

Certes, l’Armée rouge a libéré les populations des territoires repris aux Allemands de façon bien particulière. Elle y a, à son tour, commis des atrocités, tels que les pillages et surtout les viols massifs.  Néanmoins, sans vouloir occulter cette page sordide de l’histoire soviétique, sans vouloir minorer le rôle de cette armée dans l’occupation de l’Europe centrale et orientale à partir de 1945, nous ne pouvons faire abstraction du fait que l’URSS (à travers ses 27 millions de morts) a joué un rôle fondamental dans la chute du nazisme. Souvenons-nous,  les Polonais et les Russes avaient entamé un difficile travail  de réconciliation qui s’est traduit le 7 avril 2010 par la commémoration du massacre des 22 000  officiers polonais par l’armée soviétique en 1940 à Katyn, près de Smolensk. Dans le cadre d’une cérémonie sur les lieux du massacre, réunissant les Premiers ministres polonais et russe Donald Tusk et Vladimir Poutine, ce dernier avait officiellement reconnu la responsabilité soviétique dans ce crime de masse (après un demi-siècle de déni). Cette amorce de réconciliation entre la Pologne et la Russie a aujourd’hui volé en éclats.

Le raidissement de la Russie à l’égard de l’Occident dont le conflit à l’Est de l’Ukraine constitue le point d’orgue, les expressions d’un nationalisme russe et ukrainien en pleine expansion, le pro-américanisme affiché de la Pologne, de la République tchèque et des pays baltes sont en train de balayer les efforts entrepris pour faire un travail de mémoire commun sur les pages douloureuses de l’Est de l’Europe, notamment liées à l’oppression soviétique. Au lendemain des commémorations, une nouvelle étape risque d’être franchie, celle où le souvenir de la lutte contre le nazisme menée conjointement par la Russie et de nombreux pays européens se voit sacrifié au profit de luttes d’influence en Europe orientale. Ce serait une erreur majeure de se lancer sur cette pente.  Espérons que les commémorations de la fin de la Seconde guerre mondiale en mai prochain mettront un coup d’arrêt à cette dérive, sans quoi, il deviendra très difficile pour l’Europe de recoller les morceaux avec Moscou.

*Photo : Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA. AP21684368_000005 .



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