L’antiterrorisme près de chez vous


L’antiterrorisme près de chez vous

Nantes apologie du terrorismeIl est de bon ton, depuis pratiquement le début du quinquennat, de railler et de dénoncer le supposé laxisme de Christiane Taubira, devenue la tête de Turc préférée de la droite. Cette même droite devrait pourtant la féliciter. Elle a donné récemment aux procureurs des consignes prônant « une extrême réactivité » face aux propos pouvant de près ou de loin se rapporter à une « apologie du terrorisme ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est obéie au-delà de ses espérances, notamment par le parquet de Nantes qui, comme nous l’apprend Ouest France, n’a pas a hésité à taper très fort, à deux reprises.

Nous, Christiane Taubira, on l’aime bien, pour tout vous dire. On l’aime bien parce qu’elle est une espèce de thermomètre à réacs. Si elle parle et que ça braille très fort, c’est en général parce qu’on se retrouve face à une mesure de gauche. C’est pratique, à l’époque où tout le monde entretient une très grande confusion idéologique et où l’on voit un PS applaudir la victoire de Syriza tout en s’apprêtant à soutenir la loi Macron – qui est à la gauche grecque ce que les boîtes échangistes sont à la Manif pour tous, c’est-à-dire pas franchement un modèle.

Mais cette fois, Christiane a peut-être poussé le bouchon un peu loin sans le vouloir car du côté de Nantes, on ne rigole pas. Dans le tramway, mercredi 15 janvier, une adolescente et des copines se font contrôler. Je vois la scène. Il n’y a rien de plus agaçant, parfois charmant mais le plus souvent agaçant, qu’un groupe de filles dans les transports en commun. Ca ricane, ça pouffe, ça prend des poses, ça vérifie qu’on les regarde du coin de l’œil et la plupart du temps, ça voyage sans titre de transport parce qu’elles sont trop rebelles, tu vois, et qu’en plus, c’est le ticket ou le milkshake. Le contrôle se passe mal et l’une, qui a le mérite de suivre l’actualité, répond : « On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikovs ! ». Ce n’est pas très malin, d’accord mais encore une fois, comme on dit en linguistique, tout dépend de la situation d’énonciation dans laquelle est dit l’énoncé. La même phrase dans une bulle sur une couverture de Charlie illustrant cette situation, ça pourrait être bête et méchant, juste ce qu’il faut. Il n’empêche que la donzelle, ce jour-là, n’a pas pris son milk-shake, et a été mise en examen pour « apologie du terrorisme » devant le juge pour enfants. On vit une drôle d’époque, où on ne se rend pas compte qu’il y a une forme d’absurdité presque comique à trouver dans la même phrase : « juge pour enfants » et « apologie du terrorisme ». On attend le moment où le petit Momo, 9 ans, sera arrêté par la SDAT à la fin de la récré pour avoir joué à la prise d’otage avec la petite Lulu, 7 ans, en brandissant une kalach en plastique.

A Nantes toujours, le deuxième cas est celui d’un lycéen de 16 ans qui a été arrêté chez ses parents et transféré au parquet puis placé en liberté surveillée après sa mise en examen. Il avait partagé sur Facebook un dessin de sa composition représentant un lecteur de Charlie Hebdo touché par des balles avec, nous précise la Justice, « un commentaire ironique ». Il a été dénoncé, Facebook étant au passage une belle fabrique de puritanisme qui ne supporte pas L’Origine du Monde de Courbet, et de délation avec des formulaires électroniques tout préparés. Il est intéressant de voir que pour les juges nantais, l’ironie est un terrorisme. On le savait, mais on se disait aussi que ce terrorisme-là, précisément, dans une démocratie qui s’interroge gravement ces temps-ci sur le blasphème et la liberté d’expression, était un terrorisme salubre. Monsieur Alain Bauer va être content, lui qui, après avoir conseillé Sarkozy, conseille Valls en matière de sécurité intérieure. Il avait eu du mal, en son temps, circa 2008, à supporter l’ironie du Comité Invisible, le transformant en ennemi intérieur sur la foi d’un seul petit livre qui connut un certain succès à l’époque.

Notre lycéen, évidemment sans antécédents judicaires comme on dit, a lui aussi été puni pour s’être s’intéressé de trop près à l’actualité et avoir exercé, peut-être maladroitement, un esprit critique, bref joué le jeu de Najat Vallaud-Belkacem qui a demandé à ce qu’on débatte de tout avec les jeunes. De tout, sauf « des questionnements insupportables », ce qui commence mal puisque par définition le débat sur la liberté d’expression, s’il ne la garantit pas même lorsque cette expression est « insupportable », c’est tout de même un peu ennuyeux d’un point de vue méthodologique.

A propos de cet adolescent qui, s’il avait publié son dessin dans la presse, aurait peut-être été payé pour ça et fait rire ou grincer les lecteurs, le juge a rappelé que, quand même, « on doit réfléchir deux fois avant de tenir certains propos », variante du « il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche… »

Le problème, c’est que si ne pas suivre ce conseil fait tomber sous le coup des lois antiterroristes, on risque d’assister à des vagues d’arrestations sans précédent dans les  médias et le personnel politique. Et le grand silence de la liberté d’expression règnera enfin sur le pays.

Photo : Sébastien Salom-Gomis/SIPA/1501101745



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