Au nom de l’antisionisme…


Au nom de l’antisionisme…

barbes gaza sarcelles

Une fois de plus, le conflit israélo-palestinien s’invite dans la politique française. Alors que l’opération terrestre de Tsahal se poursuit à Gaza, les incidents se multiplient dans l’hexagone à l’occasion des manifestations pro-palestiniennes. Au nom de l’antisionisme, on assiège les synagogues sans se contenter de mimer des quenelles mais en faisant le coup de poing.

Les bombardements israéliens à Gaza on fait près de trois cent morts jusqu’à présent, selon les chiffres relayés par les grands médias. L’Etat juif mène une politique qu’il justifie au nom de sa sécurité mais que l’on peut trouver tout simplement suicidaire à long terme, en plus d’être particulièrement coûteuse en vies humaines. On peut aussi pointer du doigt, à l’inverse, les responsabilités du Hamas qui a refusé la proposition égyptienne de cessez-le-feu, démontrant de plus en plus clairement que ses seules possibilités d’existence résident dans la guerre et la poursuite de la guerre.

Mais ce ne sont pas d’Israël et de Gaza dont parlent les manifestations pro-palestiniennes en France, comme celle que les autorités ont vainement tenté d’interdire à Paris ce week-end, mais du climat délétère engendré par un communautarisme obsessionnel que tous les dénis de réel ne sauraient masquer. Au nom de l’antisionisme, samedi, les manifestants pro-palestiniens se sont attaqués à la synagogue de la rue de la Roquette la semaine dernière et ils ont transformé Barbès en champ de bataille en dépit des mises en garde d’un gouvernement dont on ne sait s’il pèche par impuissance, aveuglement ou calcul. Un article du Monde relate les faits avec cet angélisme qui est devenu la marque de fabrique de tous les amis du désastre : « Rémi, 26 ans, est venu en voisin. Sensibilisé à la cause, il se dit un peu perturbé par ces slogans religieux mais précise qu’ils restent minoritaires. A la manifestation de dimanche dernier il dit n’avoir entendu aucune phrase antisémite : «  De toute façon la régulation se fait automatiquement, les gens ne laisseraient pas faire ça. » La présence du NPA dans le cortège le rassure : « Ça agit comme un parapluie politique. Il y a des associations aussi. »

On a vu de quelle manière le « parapluie politique » a servi hier. On voit encore comment la « régulation automatique » a fonctionné ce samedi : un quartier mis à sac et des scènes d’émeutes qui se sont poursuivis jusque tard dans la soirée, l’article ne dit pas si tous les voisins du brave Rémi ont été aussi « sensibilisés » que lui à l’occasion de cette démonstration de force. On a pu voir aussi à Sarcelles s’organiser hier, dans un souci de conciliation sans doute, une manifestation de soutien aux Palestiniens devant la gare de Garges-Sarcelles (Val-d’Oise) et un rassemblement pro-israélien organisé simultanément et au même endroit par la Ligue de défense juive (LDJ). En dépit de l’interdiction des deux manifestations, de nouveaux affrontements n’ont pas manqué de se produire entre forces de l’ordre et manifestants ayant sans doute un peu trop forcé sur la sensibilisation.

Près de trois cent morts depuis le début du bras de fer entre Israël et le Hamas, c’est une tragédie, pas un alibi. C’est pourtant ce à quoi se réduit en France le conflit israélo-palestinien, devenu prétexte, pour la collection d’excités qui ont déferlé à Bastille ou à Barbès, à faire étalage de leur envie d’en découdre avec le pays dans lequel ils vivent, au nom d’une fraternité fantasmée avec un peuple dont ils ignorent tout. La colère des imbéciles envahira le monde, prophétisait le visionnaire Bernanos. Elle a envahi à nouveau les rues de Paris ce samedi. Cette colère-là n’a rien à voir avec Gaza. Elle révèle simplement le malaise profond que le sociologue Paul Yonnet évoquait il y a vingt ans déjà dans un ouvrage[1. Paul Yonnet. Voyage au centre du malaise français. Gallimard. 1990.] qui lui avait valu la vindicte de tous les prophètes autoproclamés de la religion du multikulti. Et les imbéciles en colère crachent aujourd’hui avec joie au visage des imbéciles qui ont institué la culture de la repentance et la condescendance antiraciste en religion d’Etat. Si Stéphane Hessel était encore de ce monde, contemplerait-il encore avec bienveillance ces « indignés » qui basculent aujourd’hui avec ferveur dans le romantisme djhadiste ?

Le plus triste peut-être est que le tiers-mondisme à la sauce 2014, qui se réinvente avec l’obsession antisioniste, ignore toujours avec autant de ferveur le monde qui l’entoure. Il ne s’agit même pas tant de la compassion sélective, qui fait oublier les 270 personnes exécutées en une journée par l’EIIL en Syrie ou les chrétiens d’Irak qui fuient les massacres et les persécutions à Mossoul, que d’aveuglement géopolitique.

Tandis que la politique mondiale ne se lit en France qu’à travers le prisme du conflit israélo-palestinien, un avion de ligne civil avec 298 passagers à son bord est abattu en Ukraine et l’Europe, prise en tenaille entre les angoisses stratégiques américaines et le réveil russe, redécouvre avec un peu d’incrédulité qu’elle possède des frontières. Le violent conflit qui redémarre au Proche-Orient, sans qu’il semble possible d’y trouver une issue, semble cependant focaliser une fois de plus toutes les passions et rejeter les Français dans cette passion de la guerre civile par procuration, cette fois largement aggravée par les tensions ethniques dont les responsables politiques et les grands médias sont forcés de constater la réalité : celle d’une partie de la jeunesse immigrée qui fait sécession et rejette de plus en plus violemment les douces promesses du vivre-ensemble. Entre la montée en puissance du djihadisme français et l’onde de choc provoquée par l’intervention israélienne à Gaza, le réveil est terrible pour une classe politique qui a entretenu par complaisance et stratégie électoraliste les tensions qui se muent peu à peu en conflits ouverts.

La France, éternellement empêtrée dans ses élans universels, quelquefois pour le meilleur et aujourd’hui surtout pour le pire, impuissante ou seulement peu désireuse de réaffirmer et de protéger sa singularité culturelle, ne semble plus capable de se préserver des rancœurs communautaristes qui n’ont d’autre issue que la guerre de tous contre tous.

*Photo :  Thibault Camus/AP/SIPA. AP21599761_0000010. 



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