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« Non, nous n’irons pas en centre-ville ; tu connais trop de monde ! Tu ne vas pas cesser de parler ; on ne pourra pas profiter… » m’avait dit ma Sauvageonne plus ébouriffée que jamais. Il faisait chaud ; elle portait une robe légère agrémentée d’un motif panthère. Elle était si mignonne ; je n’avais pas envie de la contrarier. (« Imaginons qu’elle fasse une colère de fille ; la soirée serait gâchée », avais-je songé.) J’acquiesçai mollement, bien ennuyé par le souhait péremptoire de l’ébouriffée. Et soudain : euréka ! Il me revint à l’esprit que mon copain, le guitariste-chanteur Philippe Van Haelst, dit Vanfi (avec qui j’avais joué – de la basse Epiphone, forme violin – en des temps immémoriaux au sein du mythique gang Les Scopytones, combo phare du Yé-Yé français) m’avait invité à venir écouter Hold On ! un groupe de soul music qu’il avait intégré depuis peu ; ce dernier se produisait à Longpré-lès-Amiens.
Ni une, ni deux ! J’attachais la Sauvageonne sur le siège bébé à l’arrière afin qu’elle ne change pas d’avis, et nous fonçâmes vers Longpré. A peine étions-nous garés que les effluves corsés de « Hold On ! I’m coming », de Sam & Dave me montèrent aux oreilles comme un vin bio d’Auvergne. « Le morceau éponyme de la formation ! Un bon présage », songeai-je. J’avais tort. J’arrivai clope au bec vers la buvette pour commander deux bières. Un homme me fit savoir qu’il fallait que j’éteigne ma cigarette car je me trouvais dans une enceinte scolaire. Je grognai comme un vieux yak, respirai profondément façon application cohérence cardiaque sur YouTube, me calmai quand il ajouta : « Et il n’y a plus de bière. » Je constatai qu’à ses pieds gisaient cinq fûts d’une binouze que je soupçonnais d’être allemande. Je lui fis remarquer, pas commode. « Ils sont vides », fit-il, un peu radouci. Nouvelle séance de respiration cohérente.
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J’allais raconter mes aventures à ma belle. Alors que je parlais, Hold On ! égrenait son répertoire. C’était carrément délicieux. De la soul comme on l’aime. Mes pensées s’égaraient très loin, dans un passé que je croyais évanoui. Je me revoyais, adolescent, dans la salle des fêtes de Tergnier, à un concert des Candles, le groupe ternois de rhythm’n’blues et de soul. Gilles Camus avec sa belle voix de crooner populaire, Momo, au chant également, Goumi, précis et talentueux, sur sa Fender Telecaster aux riffs hachés menus, le Grand Zézette, efficace à la batterie, Marrane, calme comme un Wyman, à la basse, la section de cuivre. C’était les seventies ; je me retrouvais projeté dix ans en arrière. (J’ai toujours détesté le présent.) C’était merveilleux. Hold On ! me faisait le même effet.
Je cru reconnaître « A change is gonna come », de Sam Cooke, « In the midnight hours », de Wilson Picket, « Papa’s got a brand new bag », de James Brown… Rien que du bonheur, d’autant que l’homme de la buvette était venu m’annoncer qu’il avait retrouvé deux fûts de binouze. « Vous savez, moi aussi je suis fumeur », fit-il en me tapant sur l’épaule. On était réconciliés. Le concert terminé, je filais saluer Vanfi qui me raconta l’histoire de sa formation.

Hold On ! est composé de neuf musiciens : Guillaume Ghehoun, chanteur, Michel Duflos, claviers, Franck Claussmann, piano et chœurs, Philippe Van Haels, guitare et chœurs, Jean Pierre Dabonneville, basse et chœurs, Marc Cordonnier, sax ténor, Laurent Dupuis, trombone, Jerôme Martel, trompette et Daniel Sueur, batterie. Il a été fondé en 2021, à la sortie du Covid mais il a subi bien des changements depuis pour se stabiliser autour de la présente formule « qui repose sur une solide section rythmique, une section de cuivres complète et la voix incomparable de Guillaume, notre chanteur charismatique », expliquait Vanfi, enjoué.

« Hold On ! c’est un groupe de reprises de chansons soul, dans le plus pur style original du label Stax Record des années 60. Notre répertoire comprend quelque deux heures de musique soul non-stop, d’Otis Redding à Nina Simone, en passant par James Brown, Percy Sledge, Eddie Floyd, Sam and Dave et bien d’autres encore ! Nous nous retrouvons dans l’envie de transmettre l’énergie et les vibrations de cette musique afro américaine du milieu des années 60 incarnée en particulier par les productions du label Stax. Hold On ! ça veut dire « Tiens bon ! », « N’abandonne pas ! » C’est une chanson de Sam & Dave, c’est le premier succès du label Stax. Ce n’est pas pour rien car c’est un message universel et intemporel qui dépasse de loin la musique et dans lequel chacun peut se retrouver. Le rhythm & blues est la bande son des luttes pour les droits civiques afro américains. Cette musique symbolise l’esprit de révolte, de résistance et de combat mais aussi la ferveur et les vibrations positives que la communauté noire américaine de cette époque a su transmettre en transcendant souvent son désespoir. Dans le contexte national et international actuel, très incertain et anxiogène, ces valeurs positives de fraternité, d’ouverture et d’engagements résonnent et apportent une bouffée d’oxygène à beaucoup de gens. Nous le ressentons dans nos concerts il y a un vrai engouement pour cette musique. Nous souhaitons entretenir la flamme allumée il y a maintenant plus de 60 ans à Memphis dans le sud des Etats-Unis par une bande de jeunes musiciens de cultures et de milieu sociaux différents qui ont su dépasser leurs différences. Une grande voix, une rythmique solide et une section de cuivres complète, pour retrouver la couleur originelle de cette musique qui a su traverser les époques. » Tu l’as dit, Vanfi !
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