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Infortuné surréaliste


Alain Le Yaouanc, né le 18 mai 1940, est peut-être l’un des derniers surréalistes vivants. Et il paie très cher de n’être pas de la génération des artistes subventionnés, de ceux qui cotisent à la Maison des Artistes, qui pensent à leurs vieux jours, voire à leurs jours chômés. À l’instar de quelques figures que l’on qualifie de maudites ou de réfractaires à l’État et son ordre social, ce peintre, dessinateur, sculpteur et poète autodidacte n’a jamais eu le caractère à marchander sa liberté.
Comme nombre d’artistes de sa génération, il s’est contenté d’œuvrer et d’exposer, se liant d’amitié avec les marchands les plus importants du temps, tels que Aimé Maeght, et travaillant depuis 1967 dans son atelier rue Beautreillis dans le Marais, dont la valeur a évidemment atteint des sommets et où il vit modestement de dons amicaux et du soutien de son fils unique. Louis Aragon lui a souvent rendu visite en cet endroit. Il était, comme Prévert, admiratif de ce breton à qui il a consacré de nombreuses pages. Il l’appelait affectueusement « Mon Petit ».
C’était le temps de la vie de bohème. Avant la première crise pétrolière, avant que le capitalisme financier ne spécule sur la peau et les os, l’espace et les œuvres.
Surréaliste autant que naïf, il a perdu des centaines de toiles, dessins et objets en 1999, saisis pour défaut de paiement à un propriétaire qui n’en était pas un et bradés à Drouot sans inventaire ni possibilité d’en suivre les ventes.
Ce triste scénario est en voie de se reproduire aujourd’hui, et le peintre n’y survivrait pas une seconde fois. Cet amoureux du pays du Cèdre et des arts céramiques arabo-musulmans s’est ruiné virtuellement en offrant une œuvre monumentale en marbre à la ville de Beyrouth, qu’il a eu le tort de financer – quel optimisme – en hypothéquant cet atelier du Marais où il survit au milieu de ses souvenirs et de ses œuvres. De transactions onéreuses en contrats ruineux, le voici dépossédé de son seul bien au nom du Marché, mais bien en deçà des prix de celui-ci.
On m’objectera peut-être qu’après tout, ça arrive à d’autres, que 400 agriculteurs se suicident chaque année en France pour des problèmes similaires, et que les fourmis valent bien les cigales. Et si nous décidions de sauver les unes autant que les autres ?



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Isabelle Kersimon est journaliste.

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