Accueil Politique Ah ça ira, ça ira, ça ira, les financiers à la lanterne !

Ah ça ira, ça ira, ça ira, les financiers à la lanterne !


Photo : bfmbusiness.com

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pierre Haski débattent du discours de François Hollande sur la finance.

Au Bourget, le 22 janvier 2012, tout comme à Paris le 11 novembre 1630, la journée des dupes tombait un dimanche… Cette fois, les premiers à être pris pour des dupes sont l’ensemble des Français à qui François Hollande affirmait sans broncher « La gauche, je l’ai dirigée avec Lionel Jospin, quand nous gouvernions ensemble le pays avec honneur et j’en revendique les avancées. » Ainsi apprend-t-on que quand on croyait naïvement être gouvernés entre 1997 et 2002 par Chirac à l’Elysée et Jospin à Matignon, c’est en réalité François Hollande qui dirigeait le pays depuis Solferino. On savait que de toutes les critiques celle qui a le plus touché Hollande concerne son manque total d’expérience gouvernementale, mais en poussant la contrevérité jusqu’au ridicule le candidat la crédibilise plus que jamais.

Dans le même registre comique, on peut relever une autre perle : doubler le plafond du livret A. À votre avis, qui en profitera ? Qui détient déjà des Livrets A affichant 15 300 euros au compteur et qui est en mesure de doubler la mise ? Eh bien, ces happy few se voient promettre un nouveau cadeau fiscal, « la niche Hollande » qui leur permettra d’échapper à l’impôt sur 15 300 euros de plus ! Ça, c’est du social !
Mais ceux que le candidat Hollande prend vraiment pour des, disons le gentiment, simples d’esprits, sont ses propres partisans et plus généralement ce qu’on appelle le peuple de gauche. Comme l’a signalé fort à propos Serge July lundi soir chez Yves Calvi, sans rien redistribuer, sans rien promettre aux chômeurs ni aux précaires, sans proposer autre chose que d’être une version sans Rolex de Nicolas Sarkozy, le candidat socialiste a enflammé la salle avec les formules les plus creuses du vocabulaire de la gauche. En réalité, il a fait bien pire : il a sciemment flatté les plus viles passions – la jalousie, la haine et la chasse aux boucs émissaires.

Il a d’abord arrosé son public de mots clés évoquant la Révolution. Avec le mot « égalité » répété 39 fois, Hollande a planté le décor. La liberté, quant à elle, a eu droit seulement à 7 occurrences. Voilà qui démontre la véritable hiérarchie des valeurs d’un homme réduisant sournoisement ce qui peut être une noble aspiration à sa plus triste dimension : l’envie. Cela fait, le candidat fait entrer l’accusé, que dis-je, le condamné sans jugement : la finance. L’Ennemi par excellence est, selon ses propres termes, « sans nom, sans visage, sans parti », mais celui qui « pourtant [nous] gouverne » et qui a pris le contrôle de nos vies. Pour donner tout de même un petit indice à ceux qui envisagent de partir à la chasse, Hollande désigne les « 1 % des Français privilégiés se séparent du reste de la société. Ils vivent à côté de nous mais ils ne vivent déjà plus avec nous. » Pour le candidat socialiste qui n’hésite pas à évoquer la nuit du 4 août 1789 et l’abolition des privilèges, cela ne fait pas de doute : « la finance » du discours du Bourget n’est autre que la version 2.0 des « Aristos» , ce groupe à contours flous qui accueillait pendant quelques tristes années les ennemis des sans-culottes, quelles que soient leur naissance et leur fortune…

Pour quelqu’un qui ne cesse d’accuser son adversaire de diviser les Français, c’est fort de café de désigner à la vindicte populaire non plus 200 familles, comme au temps du Front Populaire, mais 200 000 (soit grosso modo ce fameux 1% des ménages parasites). Va-t-on demander à son voisin s’il en est, avant de savoir si on doit ou non continuer à lui dire bonjour ?

Et puis, soyons francs : « la finance », ça ne veut rien dire et ce flou prémédité cache, comme disait la grand-mère de Martine Aubry, un loup. Désigner un ennemi imaginaire et indéfini permet de masquer sa complicité avec le véritable adversaire. Car si ce qu’Hollande appelle « la finance » a pris les dimensions qu’il lui attribue c’est d’abord parce que tous nos gouvernements (y compris quand François Hollande, assisté par Jospin et Chirac, était au pouvoir…) ont décidé d’interdire aux banques centrales de leurs prêter de l’argent à taux d’intérêt raisonné ! C’est le principe- érigé en article de foi- selon lequel les déficits publics doivent être financés par les marchés qui a permis les dérives d’un système pourtant essentiel. Mais là-dessus pas un mot. Pas un mot sur la BCE ni sur l’Euro, pas une proposition pour priver d’oxygène les pires dérives financières.
On comprend mieux, à ce tarif, l’insistance de François à tacler l’homme en face de lui, et surtout l’homme. Parce que le discours hollandiste est non seulement flou, mais il n’est même pas original… Le candidat copie le président actuel qui, pas plus tard que jeudi dernier, lors de ses vœux au monde économique, attribuait la responsabilité de la crise à un seul coupable, « le dérèglement de la finance », en avançant d’ailleurs les mêmes non-solutions que son adversaire socialiste.

On pourrait comprendre, à la rigueur, que nos deux prétendants pillent réciproquement leurs programmes sur ce qu’ils ont de meilleur. Mais qu’ils se pastichent l’un l’autre pour fustiger un ennemi fantasmé contre lequel ils ne peuvent ni ne veulent agir n’est pas de bon augure.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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