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AfricaMuseum: en Belgique, un revers pour les «décoloniaux»

Un musée belge condamné pour un cartel trop idéologique


AfricaMuseum: en Belgique, un revers pour les «décoloniaux»
Le Premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le Premier ministre belge Alexander De Croo et le Secrétaire d'Etat Thomas Dermine, inventaire avant restitutions, AfricaMuseum, Tervuren, Belgique © Shutterstock/SIPA

Adepte de la cancel culture, notamment concernant le Roi Léopold II à l’héritage controversé, le Musée royal de l’Afrique centrale est sans doute allé trop loin en présentant l’opération de sauvetage des civils par des para-commandos en 1964 « d’intervention étrangère d’écrasement des rebelles indigènes ». Un tribunal a donné raison récemment aux associations des anciens paras qui estimaient que leur honneur était bafoué. Léger contretemps pour le courant décolonial, mais il devrait rapidement retomber sur ses pattes.


Sept associations d’anciens para-commandos et d’officiers belges ayant servi en Afrique, choqués par une statue sise à l’entrée de l’Africa Museum, ont obtenu mi-février gain de cause devant le Tribunal de 1ère Instance de Bruxelles. Ces paras se sentaient blessés par le texte explicitant la statue représentant un militaire en arme. Le texte disait : « Un para-commando belge à Stanleyville en 1964, lors de l’écrasement des rebelles Simba. L’indépendance formelle du Congo en 1960 est loin d’avoir sonné le glas des interventions étrangères. »

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Les sept associations estimaient ce texte explicatif offensant pour l’honneur des anciens paras et contre-historique, étant donné que l’opération dite « Dragon rouge » avait été effectuée à l’époque dans un but essentiellement humanitaire et non pour écraser une rébellion. Le tribunal leur a donné raison, estimant qu’associer l’opération militaire de novembre 1964 à l’écrasement de la rébellion Simba « porte atteinte de manière disproportionnée à la réputation des paracommandos ». L’Etat belge (le musée) a été condamné le 11 février à retirer le texte litigieux sous deux semaines sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard. Fait important : le tribunal précise la nécessité de nuancer le discours post-colonial « pour remettre la vérité au cœur du propos historique sur la question coloniale ».

Réécriture de l’histoire

Les associations estimaient en effet que « le cartel de statues donne une interprétation de l’histoire qui impute aux para-commandos un comportement qui n’est pas démontré de manière univoque comme le reconnait l’État belge lui-même. Un tel commentaire ne participe pas à une analyse postcoloniale critique et sérieuse ». En outre, « en faisant un usage abusif de sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’homme, à savoir, en l’espèce, en présentant au public des informations dont l’exactitude n’a pas été vérifiée rigoureusement sur le plan scientifique, l’État belge viole le droit à la protection de la réputation professionnelle, et dès lors viole l’article 8 de la CEDH ».

Le musée avait toutefois précisé qu’il n’avait pas voulu porter atteinte à l’honneur de ces jeunes paras dont la bonne foi ne pouvait pas à l’époque être mise en doute mais soulignait le « cynisme » des autorités belges de l’époque. « L’honneur et le courage de jeunes gens risquant leur vie pour en sauver d’autres n’ont rien à voir avec le cynisme des autorités qui leur donnaient des ordres », précisait le communiqué de presse du musée daté du 13 octobre 2020 suite à une première mise en demeure. Etrangement dépublié depuis, le communiqué poursuivait : « Les historiens soulignent que l’opération « Dragon rouge » a été reportée d’un jour pour coïncider avec l’opération « Ommegang », qui avait elle-même pris du retard. Il est donc clair que les deux interventions, à savoir la libération des Belges et autres Occidentaux et la répression des rebelles Simba, étaient liées. L’affirmation selon laquelle l’opération « Dragon rouge » était une action purement humanitaire de la Belgique qui n’avait absolument aucun lien avec la répression extrêmement violente et cruelle des rebelles Simba, est maintenant considérée comme étant un mythe persistant plutôt qu’une vérité historique. »

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Selon plusieurs sources qui nous ont contacté, le processus de décision au sein de l’Africa Museum, lorsqu’il s’agit justement du recul historique nécessaire, ne fait pas l’unanimité et les historiens du musée n’étaient pas tous d’accord par rapport à la légende litigieuse sur la statue.

Ils s’étonnent par exemple que le musée, fidèle à une position progressiste, n’ait pas mentionné la vie des 1 700 otages sauvés et leurs familles dans l’opération militaire. De même « cette présentation tendancieuse soutenue par le ministre de tutelle du musée, par rapport aux décisions d’un gouvernement d’envoyer, à l’époque, des troupes pour des opérations aussi délicates et puis se déjuger 50 ans après ne démontre pas vraiment une dimension d’homme d’Etat », estime un proche du dossier qui souhaite garder l’anonymat. « Les populations civiles congolaises, premières victimes de cette rébellion, apprécieront également la grande attention portée par les responsables du musée sur leur sort, les victimes se comptant en dizaines de milliers, en particulier parmi les classes des cadres et intellectuels dont le Congo avait si cruellement besoin à cette époque. »

Un journaliste congolais s’en félicite

Paradoxalement, c’est en provenance du Congo qu’un journaliste, Nicaise Kibel’Bel Oka, semble prendre parti pour les paras belges. Directeur du journal Les Coulisses et du Centre d’études et recherches géopolitiques de l’est du Congo (CERGEC), M. Kibel’Bel Oka souligne : « Le plus surréaliste dans cette affaire, comme on peut le constater, est que les branches de l’État en Belgique s’empoignent. Les para-commandos belges attaquent l’État belge en justice. Et l’État est condamné par la justice belge. Le ridicule qu’on pouvait éviter. Heureusement que le ridicule ne tue pas. On ne juge pas le passé sans le conceptualiser. Le Musée [d’Afrique centrale] a voulu juger l’histoire et le juge l’a remis à sa place, avec une décision qui respecte l’histoire en la remettant à son vrai endroit et au temps de son déroulement. Cette décision a été accueillie, au-delà de ce qui apparaît comme une victoire, avec une grande joie et un soulagement par les associations des para-commandos belges au moment où certains mouvements antiracistes et anticoloniaux brossant un tableau sombre de la colonisation posent des actes de vandalisme des statues (les déboulonneurs) dans une volonté avérée de réécrire l’histoire coloniale sous l’angle criminel (…) »

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Dans le contexte décolonial qui règne en Belgique (si on en juge par les débats qui règnent en ce moment au sein de la commission spéciale « Congo – Passé colonial » à la Chambre des représentants), on peut dire que cette mouvance a subi une défaite dans cette affaire mais n’a certainement pas perdu la guerre. Le courant décolonial occupera nos esprits pendant encore de longues années, la prochaine étape étant la restitution des objets d’art africains consciencieusement conservés dans les musées belges. Une problématique à laquelle la France est également confrontée.




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est écrivain, journaliste et romancier belge. Dernière publication : "Tout doit disparaître", Edilivre (2021)

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