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Adieu tyrannie, bonjour démocratie?


Les experts patentés du monde arabe et musulman tomberont-ils dans le piège que leurs collègues spécialistes de l’empire communiste n’avaient su éviter ? Leurs prévisions « à chaud » relatives à l’avenir politique des peuples qui s’étaient libérés du joug soviétique entre 1989 et 1991 se sont, la plupart du temps, révélées erronées. Même le célèbre ouvrage d’Hélène Carrère d’Encausse, L’Empire éclaté, qui annonçait prophétiquement la fin de l’URSS en 1978, s’était largement fourvoyé en affirmant que le communisme russe allait s’écrouler sous les coups de boutoir des républiques musulmanes à forte natalité. Or, on sait aujourd’hui que c’est la pression occidentale et le coup de poker de la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan qui a été l’élément déclencheur de ce processus.[access capability= »lire_inedits »]

De même, on prédisait un avenir politique radieux aux « dissidents » des pays d’Europe centrale et orientale qui avaient incarné le combat pour la démocratie et les droits de l’homme. En Russie, ce ne fut pas Andreï Sakharov qui s’installa au Kremlin après la déconfiture de Mikhaïl Gorbatchev, mais le vieil apparatchik Boris Eltsine, qui assura la transition entre le collectivisme bureaucratique et le règne sans partage de l’oligarchie. Lui succéda un Vladimir Poutine, pur produit des « organes » de la Sécurité soviétique et de l’appareil communiste de Léningrad, alias Saint-Pétersbourg, également lié aux oligarques.

En Pologne, le charismatique Lech Walesa sortit en loques d’un premier mandat présidentiel, pour laisser la place à Alexandre Kwasniewski, un ancien communiste repeint aux couleurs de la social-démocratie. Derrière Vaclav Havel, adulé des Tchèques, mais bien seul en son palais de Hradcany, une classe politique issue de la technostructure communiste, incarnée par Vaclav Klaus s’emparait des leviers du pouvoir. Les idéalistes du « Neues Forum » de Berlin-Est allaient rapidement sortir de l’Histoire, supplantés par des hommes politiques ouest-allemands trouvant là une occasion inespérée de faire rebondir leur carrière. On pourrait ainsi multiplier les exemples prouvant que ce ne sont pas ceux qui renversent les tyrans qui sont appelés à construire les nouvelles démocraties.

Aujourd’hui, experts et commentateurs décrètent que les révoltes arabes de janvier et février 2011 ont ouvert une nouvelle ère, celle du « post-islamisme » qui fracasserait le couple infernal dictature nationaliste/islamisme radical et permettrait d’entrevoir une sortie imprévue du « malheur arabe » par le chemin de la démocratie, du triomphe des droits de l’homme, de l’éradication de la corruption et de la confiscation des richesses par une famille, un clan ou un appareil militaro-policier.

On ne peut, bien évidemment, que souhaiter que cette prophétie se réalise, mais il n’est pas interdit de formuler quelques doutes, même si cela doit vous valoir quelques anathèmes et soupçon de péché « essentialiste » dans votre vision du monde arabo-musulman.

Rappelons d’abord que l’effondrement du totalitarisme soviétique n’a pas engendré que des démocraties pacifiques et prospères : les républiques ex-soviétiques d’Asie centrale sont dirigées sans aucune exception par des satrapes autocratiques et souvent sanguinaires. Il se trouve que ces pays sont majoritairement musulmans, mais il serait réducteur de ne retenir que cette cause de leur déficit démocratique. Bien plus déterminante est l’absence d’une mémoire de la démocratie dans des nations où le soviétisme s’est imposé sur les ruines du tribalisme. Il faut être d’aussi mauvaise foi que Pascal Boniface pour prétendre que, seule en Europe centrale, la Tchécoslovaquie avait connu un régime démocratique avant de tomber du mauvais côté du « rideau de fer ». Certes, la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie ont connu des régimes autoritaires dans l’entre-deux guerres, mais c’est faire bon marché de l’émancipation politique de ces peuples dans la dernière phase de l’empire austro-hongrois : la social-démocratie, Karl Kraus, Theodor Herzl et le sionisme, et bien d’autres courants politiques et intellectuels sont nés et ont prospéré dans ces pays à l’ombre de François-Joseph…

L’avenir de l’Égypte et de la Tunisie, et celui des pays arabes qui parviendront à chasser leurs tyrans, est-il forcément radieux ? Parviendront-ils à sortir de la « malédiction de la rente », pour ceux qui en sont pourvus, ou des pesanteurs sociologiques freinant l’émergence d’une économie moderne (exclusion des femmes de l’univers du savoir et de la production, emprise de la religion sur la sphère publique) ? Facebook, Twitter et Al-Jazira n’apportent, à ma connaissance, aucune réponse à ces questions cruciales.[/access]

Mars 2011 · N°33

Article extrait du Magazine Causeur



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