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Service public ou cordon sanitaire?


Service public ou cordon sanitaire?

Marine Le Pen a raison. En tout cas sur ce coup-là. Il est en effet scandaleux que Michel Drucker et Laurent Ruquier refusent de l’inviter. D’abord, c’est une question de principe. Drucker et Ruquier animent deux émissions très populaires sur la première chaîne de télévision publique, ce qui signifie qu’ils sont payés avec l’argent du contribuable. Cela ne leur confère pas la moindre légitimité pour s’ériger en juges et décider de qui est fréquentable et de qui ne l’est pas.

Drucker et Ruquier n’aiment pas Marine Le Pen, c’est leur droit. Mais je ne savais pas que les invités de leurs émissions étaient choisis en fonction du goût des animateurs. « On fait du divertissement on invite qui on veut », disent-ils. Ben voyons. Sauf que, nous divertissant avec des politiques, ils participent au débat public et doivent en respecter les règles. Que l’on sache, Marine Le Pen représente un parti légal qui attire plus d’électeurs que Besancenot et Mélenchon. Or, les deux ont eu droit au divan rouge. « Je ne veux pas la rendre sympathique », ajoute Drucker. Aussi talentueux soit-il, pense-t-il vraiment que la magie de la télé rend sympathique des gens qui ne le sont pas ? Et si Marine Le Pen est vraiment sympathique, c’est grave ? Faut-il cacher au public cette atroce vérité ?

Je suppose que les deux animateurs ne partagent pas les opinions de tous leurs invités ou alors leur pensée politique est extrêmement confuse. Si leur pluralisme s’arrête à la dirigeante du FN, c’est parce que, pour eux, il y a une exception Le Pen. C’est politiquement discutable et tactiquement idiot.

Politiquement discutable parce que, contrairement à son père, Marine Le Pen ne flirte pas avec l’imaginaire fasciste. On me dira qu’elle est raciste. Par hérédité ? En tout cas, je n’entends rien de raciste dans ses propos. Marine Le Pen ne distingue pas les Français en fonction de leur race, elle distingue entre Français et étrangers, proposant de réserver certains droits aux premiers. On peut être hostile à cette idée, on ne voit pas en quoi elle est moralement scandaleuse. En France comme dans tous les pays du monde, la citoyenneté confère des droits spécifiques. Elle veut arrêter l’immigration et s’oppose au multiculturalisme ? On peut le déplorer mais force est d’admettre qu’un grand nombre d’électeurs, à droite et à gauche, sont d’accord avec elle, notamment parce qu’ils pensent que c’est le seul moyen de refaire partir l’intégration. Bref, Marine Le Pen incarne une droite autoritaire. On peut la combattre, la trouver détestable. Mais comme fasciste, elle ne le fait pas. Pour jouer aux résistants et aux nazis, il va falloir trouver autre chose.

Pour autant, on peut juger, à l’instar de Drucker et Ruquier, que sa progression dans les sondages n’est pas une bonne nouvelle. Parmi les électeurs et plus encore parmi les cadres du FN, beaucoup n’ont pas rompu avec la vieille culture raciste et antisémite de l’extrême droite. Leur rejet de l’immigration flirte souvent avec la haine des étrangers. Cela fait-il du FN un danger pour la démocratie ? Pour ma part, je ne le pense pas. Mais si je pensais que danger il y a, je n’adopterais pas la méthode Drucker/Ruquier pour le conjurer. Il n’est pas interdit de réfléchir, ni d’avoir un peu de mémoire. La diabolisation et la politique du « cordon sanitaire » ont permis d’organiser de joyeuses festivités antifascistes, mais aussi d’amener Le Pen père à 20 % des voix. Encore un effort, et Marine Le Pen sera au deuxième tour de la présidentielle. Avec 30 %. Comme ça, on pourra de nouveau faire la fête. On ne change pas une tactique qui perd.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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