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Avignon, le off du Off


Avignon, le off du Off
L'amateur de théâtre peut perdre son temps et sa bourses dans les salles du Off sans voir du vrai théâtre.
L'amateur de théâtre peut perdre son temps et sa bourses dans les salles du Off sans voir du vrai théâtre.
L'amateur de théâtre peut perdre son temps et sa bourses dans les salles du Off sans voir du vrai théâtre.

Les organisateurs revendiquent 250 000 participants au Festival d’Avignon. Mais une fois sur place, on a l’impression qu’une grande partie de ces spectateurs sont en fait des gens de théâtre. Et si le Festival était devenu, en réalité, une sorte de salon professionnel où l’on se côtoie « entre théâtreux » ? Impossible en tout cas d’arpenter les rues de cette ville, de finir une conversation avec celui ou celle qui vous accompagne sans être interrompu toutes les cinq secondes par une quinquagénaire habillée rose fuchsia qui vous tend une carte-programme brandie au bout d’un sourire enjôleur, ou par la sono bruyante d’un « spectacle musical » que l’on aimerait tant voir pousser sa chansonnette un peu plus au sud, sur une plage qui siérait mieux à son art….

Au début, la tradition peut paraître charmante. Au bout d’une heure, elle insupporte. La seule méthode efficace – mais coûteuse par 37° à l’ombre – est de pousser une valise à roulettes en arguant, pour refuser le carton sans impolitesse, que l’on s’apprête à monter dans un train.

[access capability= »lire_inedits »]On croise aussi dans les rues d’Avignon, des « tracteurs » plus avenants, très jeunes et beaux en général, qui distribuent un épais journal. Ce « gratuit » s’est bien installé dans la Cité des papes. Un jeune routard du théâtre déjà bien dessillé sur les mœurs festivalières affirme que le journal proposait aux compagnies une critique bienveillante en échange d’un encart publicitaire à quelques centaines d’euros. J’avoue que je n’ai pas appelé le journal pour vérifier l’info…

Mais l’anecdote est plus que vraisemblable. Car pour séduire les festivaliers, les milliers de compagnies du Off sont prêtes à tout. L’économie du Off fait penser à celle de Bombay, où les multinationales − les fastes du festival In − côtoient les bidonvilles de la périphérie de la ville. Le théâtre Off survit dans un dénuement proche de la misère. Nous sommes ici au royaume du RSA culturel. Pour les acteurs d’une compagnie inconnue, se rendre au festival est un investissement toujours déficitaire. Il faut s’acquitter de la location de la salle, payer pour figurer dans le catalogue du Off (200 euros). Il faut payer l’impression des affiches et des flyers. C’est le minimum nécessaire mais jamais suffisant pour prétendre à exister. Il faut aussi se loger et se nourrir. Les tarifs de location festivalière rejoignent ceux du Quartier latin parisien. En revanche, certains restaurants et beaucoup de gargotes font leur saison en proposant des repas très abordables à cette clientèle. Le Citron pressé propose ainsi un hamburger pantagruélique pour la modeste somme de 4,50 euros, soit le même tarif qu’une glace à deux parfums sur le cours Jean-Jaurès.

Voilà pour les dépenses minimales. Mais une fois acquitté cette gabelle, il faut attirer le chaland. C’est-à-dire entrer en concurrence avec des centaines, voire des milliers de petites compagnies qui cherchent, elles aussi, à remplir une modeste salle, souvent d’une capacité de moins de 40 personnes. D’où les centaines de « tracteurs » incontournables qui sillonnent les rues étroites que protègent les remparts de la ville.

Mais la misère théâtrale ne s’étale pas seulement dans les rues d’Avignon. Elle envahit la programmation. De multiples façons. Le visiteur parcourant, sans tuyau particulier, le programme du Off découvre la proportion importante de spectacles qui sortent du champ strictement théâtral. Au Festival d’Avignon, on y danse, on y danse. Et on y chante. Et on y mime. Et on y joue des arts du cirque, du saxo, de la marionnette, du cornet à piston. Il est étrange de constater à quel point l’art théâtral se trouve reclus dans son propre royaume.

La mode TST – Tout sauf le Théâtre − domine les spectacles depuis plusieurs années, comme l’avait montré avec éclat la polémique sur la danse qui avait donné lieu à un livre de Régis Debray. Les « invitants » de la rue mettent en valeur cette qualité nouvelle des pièces. On n’est pas là pour se prendre le chou. Le spectacle musical ou la « danse » collent bien à cette chute préoccupante de l’intelligence cultivée dans l’esprit public.

Autre tendance du Off, les pièces à un acteur, plus faciles à rentabiliser. On lit du Céline ou du Sophocle, ce qui dispense de payer des auteurs ou des ayants droit. D’autre flirtent avec le one man show, voire la farce plus ou moins finaude. Ces spectacles à une voix ne sont pas forcément médiocres. Ainsi l’excellente Pierrette Dupoyet régale-t-elle son public de la lecture de quelques-unes des 900 missives expédiées par Jean Cocteau à sa mère, qui font apparaître les dimensions tour à tour arrogantes et désespérées de l’artiste. La même actrice propose, à d’autres horaires, deux autres spectacles d’une heure. Une salle petite mais remplie, signe d’une stratégie sans doute mûrement réfléchie et probablement efficace. Menée au détriment de la santé de l’actrice : jouer trois fois par jour, tracter trois prospectus, il faut non seulement aimer le théâtre, mais aussi avoir la santé !

Mais la solitude, quoique prudente sur le plan de l’économie théâtrale, n’est pas toujours une garantie de qualité. En Avignon perdure le « spectacle engagé » qui attire toujours des spectateurs avides de voir leurs certitudes politiques confortées par la scène. Ainsi ce Destin du clandestin, un autre spectacle d’une heure que nous proposait, cette année, Djibril Goudiaby. Une collection de clichés que ne parvient pas à masquer le talent − réel − de l’acteur, qui s’est donné l’apparence d’un « Noir Banania », à l’image de cette fameuse publicité du début du siècle qui vantait la boisson chocolatée. L’Afrique ici décrite est celle des années 1980, pas le dernier continent à la mode pour investir qu’elle est devenue entre-temps. Bien sûr, le voyage en pirogue existe où, après s’être fait soulager de quelques milliers d’euros par un passeur, l’Africain risque sa peau à l’approche des rivages espagnols. Mais la pièce nous présente un Africain typifié, désincarné, sans histoire, simple ornement d’un discours de dénonciation, de ce que l’on appelle le « postcolonialisme ».

On l’aura compris : l’amateur de théâtre peut perdre son temps et sa bourse dans les salles du Off sans voir – pardonnez l’expression d’un spectateur ignorant − du « vrai théâtre  ». Il y en a pourtant et l’on est tout heureux de trouver ces pépites rescapées dans le chaudron avignonnais. Hamelin est un superbe texte écrit par cet auteur espagnol, Juan Mayorga, auquel on doit aussi Le Garçon du dernier rang, joué à Vincennes ce printemps, une incroyable histoire racontant les efforts tragiques d’un professeur de lettres pour transformer l’un de ses élèves en un authentique romancier.

Présentée à Avignon par une compagnie belge – Rideau de Bruxelles − Hamelin raconte une histoire de vrai-faux pédophile en butte aux constructions imaginaires de l’institution psycho-judiciaire. Il s’agit de faire parler un enfant non consentant (et non facilement représentable, raison pour laquelle le metteur en scène a choisi un adulte pour l’incarner) des supposés attouchements qu’il aurait subis en échange de sommes destinées à soulager la misère de sa famille. Le père, la mère, le frère, le juge et la psychologue nous entraînent dans un épais brouillard. Comme le fameux joueur de flûte de Hamelin qui attira les rats hors de la ville, les silences de l’enfant drainent les fantasmes d’un monde adulte incapable de le comprendre. Le tout dans une mise en scène épurée et, comme on aime à dire, moderne, qui claque et glace le sang.

Avec Marie Stuart, de la compagnie Orten/ID, on retrouve les émotions du théâtre éternel. Beaux costumes, ambiance rouge et noir, jeux de lumière, voix claires, froissements de vêtements, sorties de jeu énergiques. Le spectacle traduit la fureur des luttes de pouvoir du Royaume d’Angleterre. Deux femmes – Elisabeth Ier et Marie Stuart – s’affrontent, chacune épaulée par trois conseillers, chacun d’entre eux incarnant une stratégie bien définie : l’affrontement, la conciliation ou le pardon.

C’est la seule chose rassurante de cette petite escapade avignonnaise : la compagnie Orten/ID regroupe des professionnels qui semblent bien vivre de leur art. Allons, tout n’est pas perdu…[/access]

Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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Philippe Cohen est journaliste et essayiste, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Vendredi.

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