Après Le silence des matriochkas, Anne Bassi revient avec une sublime fresque romanesque qui nous transporte, entre 1942 et les années 70/80, d’un petit village de la Drôme provençale, haut lieu de la Résistance, vers le monde parisien de la Justice, pour nous livrer avec finesse le secret (ou plutôt les secrets) d’un homme et nous remémorer avec justesse un évènement capital de la grande Histoire de Dieulefit (26), lieu où se sont illustrés de nombreux « Justes parmi les Nations ».
Dans Les Misérables, Victor Hugo écrivait que « personne ne garde un secret comme un enfant ». Avec ce deuxième roman, l’on peut dire sans hésiter qu’Anne Bassi n’a pas son pareil pour partager, faire surgir, révéler les secrets du passé qui marquent inconsciemment ses personnages et changent à jamais leurs vies une fois révélés. Secrets de femme dans son premier roman ; secrets d’un « fils » d’agriculteurs dieulefitois devenu ténor du barreau de Paris dans ce nouveau roman. Dans les deux cas, secrets remontant à l’enfance, traversant les générations et jalonnant l’Histoire.
L’histoire d’un homme ordinaire aux origines extraordinaires
« Le jour de ma naissance, le 11 octobre 1943, Maman fête ses cinquante-sept ans ». Ainsi commence le récit d’Anne Bassi ; le décor est planté, le trouble jeté. Avec une écriture directe et incisive, par touches délicates et flashbacks maitrisés, l’écrivaine emmène le lecteur, en même temps que son héros, vers la révélation progressive de l’identité de celui-ci.
Enfant heureux et choyé, d’une intelligence rare décelée très tôt par un instituteur bienveillant, ayant grandi au milieu d’une Nature qu’il affectionne (et que l’auteur, passionnée de randonnée, décrit avec des mots toujours justes – « Nous baissons la tête devant les branches que le vent courbe. Nous rêvons, le ruisseau murmure et nous écoutons la forêt »), Christophe Lemaire quitte son village natal et change de condition sociale : par vocation et rejet de l’injustice (celle frappant ses parents endettés et cruellement poursuivis par des huissiers sans scrupule), il devient avocat.
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Elle-même avocate de formation, Anne Bassi nous propose alors le portrait d’un univers qu’elle connait parfaitement et nous invite, derrière le décor feutré et parfois violent de celui-ci, à suivre l’ascension fulgurante et la réussite rastignanesque de Christophe, entre séduction (des femmes auxquelles le héros ne veut pas s’attacher), jeux de pouvoir (auprès des clients, dirigeants d’entreprises et hommes politiques que Christophe côtoie) et amitié (de la famille Lavoué qui lui offre sa première chance professionnelle dans la capitale ou de son mentor Jacques Rivière qui en fera son associé).
Mais Christophe n’oublie pas ses origines. Ou plutôt une rencontre fortuite jaillie du passé (celle de son ami d’enfance Ferdinand) va lui faire découvrir ses origines qu’il a ignorées pendant plus de 40 ans et qui vont bouleverser sa vie. Avec un style alerte, mêlant habilement enquête de type policier, recherches généalogiques et références historiques, Anne Bassi pousse son héros, avec l’aide précieuse d’une autre amie d’enfance, Jeanne, à rechercher, à tout prix, sa véritable identité – et à l’accepter – et en même temps, à apprendre l’histoire de Dieulefit.
L’Histoire d’un village exceptionnel en des temps tragiques
Attachée aux secrets de famille et à la transmission du passé et de sa mémoire, Anne Bassi, au-delà de la destinée des hommes et des femmes qui habitent ses romans, nous montre une nouvelle fois qu’elle est également très sensible à l’importance de l’œuvre du temps et des lieux dans lesquels ces personnages évoluent pour la découverte de ces secrets. Ainsi en était-il du Silence des matriochkas où l’auteur nous faisait voyager de Kiev à Berlin puis à Paris entre 1885 et nos jours.
Cette dimension essentielle temps / espace se retrouve dans Dieu le fit, qui porte un titre destructuré et évidemment évocateur de ce village provençal, recensant à peine 1.200 personnes au début de la Seconde Guerre mondiale, et nous fait traverser 40 ans de la vie d’un homme et de l’Histoire.
Car au-delà du simple destin personnel du héros et de sa bouleversante quête identitaire, c’est bien à un voyage à travers le Temps et la mémoire auquel Anne Bassi nous convie dans son dernier roman. L’auteur nous rappelle – ou nous apprend – que Dieulefit a été à l’époque un haut lieu de la Résistance, dont plusieurs habitants ont été reconnus « Justes parmi les Nations », un lieu de fraternité et de solidarité unique à une période trouble de l’Histoire de France : composé de catholiques et de protestants, le village n’a dénoncé aucun juif, aucun étranger pendant la guerre.
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L’auteur nous rappelle aussi – ou nous apprend encore – le sauvetage des enfants juifs de Vénissieux en août 1942. Sauvetage spectaculaire de 108 enfants réalisé grâce à une interprétation habile – et justement rappelée par Anne Bassi – de la loi pour que les parents qui allaient être tragiquement déportés vers les camps de la mort sauvent leurs enfants en signant une délégation de paternité mais aussi grâce au courage de nombreux héros anonymes, en particulier des femmes qui se retrouvent dans le livre et sont désormais des personnages historiques (Marguerite Soubeyran, Simone Monnier, Catherine Krafft) ou ont été inspirées de faits réels, comme celui de Jeanne, secrétaire de Mairie à Dieulefit pendant la guerre et qui a falsifié de nombreuses pièces d’identité pour sauver la vie des enfants menacés.
« Je suis né sous une bonne étoile ». Telle est la première phrase du livre d’Anne Bassi. Son héros a réussi à trouver la sienne. C’est tout ce que l’on souhaite à Dieu le fit aujourd’hui.
Dieu le fit, Anne Bassi, Editions marque-pages
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