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Quand des Québécois veulent être Français de nouveau

La correspondance canadienne surprenante de Mélanie Courtemanche-Dancause


Quand des Québécois veulent être Français de nouveau
L'Isle-aux-Coudres, Québec, 2018 © Bony/SIPA

C’était le 20 avril 1960. Le général de Gaulle, de passage à Québec, est reçu lors d’un dîner officiel. Les verres se lèvent et tous disent, « À la France ! ». Le Général, qui ne rate jamais une bonne occasion pour honorer le panache français, dit de sa voix basse : « Chacun de vous, j’en suis sûr, pense : « Le pays d’où je viens ! » ». Il relate alors dans ses Mémoires d’espoir que passa dans l’assistance un frémissement qui ne trompe pas…

Presque jour pour jour 64 ans plus tard, le Premier ministre français, Gabriel Attal, est venu à Québec et à Montréal. Sans flamme et sans poésie (les souliers du Général sont difficiles à remplir), il adopta la traditionnelle attitude de « non-ingérence, non-indifférence » pour souhaiter un nouveau rapprochement avec le Québec. Il y a toutefois une poignée d’âmes irréductibles, et moins tièdes que lui, de la Nouvelle-France qui en appellent de tout cœur à l’Ancienne : à quand la naturalisation pour les descendants des colons français ? La question est incommode, car elle ne touche ni aux projets de laïcité qui enflamment les médias, ni au réchauffement climatique, ni au numérique. La question est incommode, aussi, car elle est nette, claire et charnelle, confrontant les idées de « rapprochements » et de « collaborations » qui flottent en l’air depuis la fin de l’épopée gaullienne. La question se pose, toutefois, et sérieusement, depuis les années 1980 et réapparaît aujourd’hui dans l’actualité québécoise. Encore en 2024, il y a de ces Québécois qui demandent à l’administration française la naturalisation, constamment refusée sous prétexte que leurs ancêtres auraient renié leur statut de Français suivant la Conquête. Or, aucun traité et aucune loi n’a jamais indiqué le retirer à ceux et celles qui choisissaient de demeurer – et survivre, culturellement – sur le nouveau territoire britannique.

Le Premier ministre Gabriel Attal avec le Premier ministre du Québec François Legault, Québec, Canada, 12 avril 2024 © Jacques Boissinot/AP/SIPA

Un grand amour… déçu

Cette situation ne manque pas d’ironie. La citoyenneté est mise à mal en France depuis belle lurette : la mère patrie gère difficilement l’intégration de ses immigrés ; des migrants sous OQTF, même criminels, sont permis de demeurer sur le territoire ; d’autres Français issus de l’immigration font l’apologie du terrorisme et mériteraient la déchéance de l’honneur que leur a conférée la Nation ; des Français en masse quittent la France pour émigrer à Montréal et espèrent devenir Québécois… et pourtant, on se dit incapable d’accorder la citoyenneté française à quelques poignées de « cousins », ces cousins-là qui sont parmi les seuls restants dans le monde à voir encore en la France leur idéal et leur grand amour, enfin l’objet d’une fidélité et d’une foi qui a traversé les générations, les défaites et les abandons.

La nouvelle initiative en date pour réunir ces individus qui réclament la naturalisation est la création du collectif « Français de nouveau ». Madame Suzanne Lachance, une Québécoise retraitée de 72 ans, ancienne conseillère municipale et présidente de l’association bénévole Québec-France en Montérégie, en est la tête d’affiche. Dans les années 1980, elle avait déjà signé une pétition – avec 20 000 autres personnes – lancée en faveur de la naturalisation des Québécois qui faisaient le choix de la France. Mais son amour pour la mère patrie date de bien plus longtemps encore : biberonnée durant sa tendre enfance à la culture française, il lui semblait appartenir à la France depuis sa naissance. Désillusionnée à l’âge de 11 ans, elle n’a cessé depuis de se réfugier dans ce qu’elle appelle son « imaginaire français » au milieu d’un Québec qui – si on se fie à la littérature française classée « étrangère » dans les rayons des librairies québécoises – ne cesse de renier la culture et l’héritage de la France. Toute sa vie, en somme, est une quête existentielle pour creuser les racines : que ce soient les vieilles pierres, la littérature, les musées, la gastronomie ou les vins, tout est perçu en terre de France comme un patrimoine qui l’appelle de ses voix quinze fois séculaires. Alors que les êtres déracinés de part et d’autre de l’Atlantique voudraient voir en ces hauts lieux une nature achetable ou des ruines sans valeur, d’autres, comme Mme Lachance, y voient des lieux chargés d’histoire, de leur histoire.

Vagues de dérision

Aujourd’hui, elle relance l’assaut en soumettant sa propre demande de naturalisation au consulat. Elle a dû faire acheminer les preuves de sa généalogie et des « liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial » avec la France, sans oublier l’artillerie lourde : le soutien de l’historien Édouard Baraton, un Français amoureux du Québec et installé à Montréal, dont la thèse novatrice démontre l’injustice juridique que subissent depuis 300 ans les Québécois d’origine française.

Toutefois, il n’y a pas que l’administration française qui lui donne du fil à retordre. Des Québécois indépendantistes qui croient avec un trop-plein d’orgueil pouvoir s’épanouir sans l’amitié spirituelle et le soutien moral de la France rejettent le collectif et son appel aux appuis. D’autres encore sont assourdis par le bruit de l’Amérique, puis ne veulent rien savoir d’une France jugée « raciste » ou « post-colonisatrice ». Comme ces bêtises donnent envie, au contraire, de déclamer une véritable appartenance à la France, celle qui permette de persister et signer un passeport ! Pourvu que cette mission historique aboutisse et que Mme Lachance devienne à nouveau Française, des Québécois pourront prononcer le nom « France » non plus seulement comme le nom donné à la patrie du cœur, mais à celle de l’identité. L’accent aigu de l’Amérique n’aura plus raison d’être isolé et timide, il pourra peut-être même cesser de penser à sa survivance pour mieux réfléchir à son épanouissement, sûr d’avoir aux arrières un courage de Bayard et un cocorico tonitruant. Il est temps de renouveler les relations franco-québécoises, de leur donner de l’éclat et autant de cœur que de corps en dehors des discours dans les Assemblées nationales.

Il semble donc que le Triton et le Goéland reprennent du service depuis leur mythique voyage de 1534. Les descendants des colons de la Nouvelle-France font le voyage en sens inverse, confrontent les vagues de dérision et foncent vers les rives françaises pour que l’on exclame à la vue de Saint-Malo, « le pays d’où je viens ! » Le havresac est rempli de vivres essentiels, entres autres Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Thérèse Desqueyroux de Mauriac et Madame Bovary de Flaubert. Ce sont parmi les ouvrages préférés de Mme Lachance, qui a la foi modeste d’un Bernanos – et si l’administration française nous inspire 24 heures de doute, la France éternelle, elle, procure une précieuse minute d’espérance. N’est-ce pas le seul instant qui vaille ?



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Chercheuse québécoise en histoire et littérature militaires françaises, Mélanie Courtemanche-Dancause collabore au magazine "L’Incorrect".

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